La concurrence en start-up est un sujet tabou.
Quand on pense à la notion de start-up, on imagine souvent une très forte différentiation par rapport à ce qui existe, une innovation qui révolutionne un marché, un « océan bleu » comme disent certains.
Par ailleurs, que ce soit Peter Thiel (Paypal, Competition is for losers), Sam Altman (Y Combinator) ou Dharmesh Shah (Hubspot), tous les grands entrepreneurs vous conseilleront d’ignorer vos concurrents, de ne pas vous occuper de ce qu’ils font et de faire comme s’ils n’existaient pas. L’objectif est alors de se focaliser sur son produit, sur ses clients et de ne pas perdre son temps à regarder ce qui se fait ailleurs.
Pourtant, les temps ont un peu changé : la vitesse à laquelle de nouvelles solutions sont mises sur le marché est juste démentielle par rapport à celle d’il y a quelques années. Alors que les start-ups venaient concurrencer de grands groupes historiques, elles se concurrencent aujourd’hui entre elles.
En ne regardant pas ce qui se passe autour, il est possible de créer accidentellement une copie exacte d’un produit existant depuis plusieurs années, ou de ne pas voir venir la concurrence d’un marché adjacent. Ainsi, de plus en plus, la concurrence redevient un élément à ne pas négliger dans une aventure entrepreneuriale.
La concurrence, une notion toujours plus fluctuante
La particularité du mode de fonctionnement d’une start-up est sa capacité à pivoter, à développer de nouveaux produits, à saisir de nouvelles opportunités de marché. Par conséquent, alors que les entreprises matures connaissaient leurs concurrents depuis des dizaines d’années, leurs forces et leurs faiblesses, ceux d’une start-up évoluent continuellement.
En trois ans chez Partoo – la start-up dont je fais partie – nous avons vu notre paysage concurrentiel se transformer entièrement et à une vitesse impressionnante : 80% de nos concurrents actuels n’étaient pas dans nos radars il y’a quelques années.
Certains de nos concurrents de l’époque ont fait faillite, certains que nous découvrons aujourd’hui ont moins d’un an. Nous avons développé de nouveaux produits, devenant challengers sur des marchés existants depuis longtemps. Nous avons ouvert d’autres pays – Espagne, Italie, Brésil – et avons découvert de nouvelles sociétés… Nos concurrents étaient français, ils sont aujourd’hui américains ou allemands. Nous étions partenaires de solutions qui, rachetées par d’autres sociétés, sont ainsi devenues concurrentes.
D’où viendront vos futurs concurrents ?
Ce que nous vivons chez Partoo est assez similaire à ce que vivent la grande majorité des start-ups françaises – toutes tailles confondues. Si personne ne parle de concurrence en public ou dans la presse, c’est un sujet dont beaucoup d’entrepreneurs parlent en privé, en particulier chez les solutions SaaS.
Plutôt que de me livrer à un retour d’expérience direct sur ce sujet, j’ai cherché ci-dessous à donner une première grille de lecture. Aussi, pour éviter de rester trop théorique, j’ai essayé de citer à chaque fois des exemples de cas concrets.
1. Les start-ups aux produits complémentaires :
Les premières sociétés susceptibles de devenir vos concurrents sont bien entendu les start-ups du même marché, ayant la volonté de diversifier leur portefeuille de produits. Au cours de leur développement, les start-ups ont souvent tendance à conserver une dynamique entrepreneuriale forte et à développer de nouvelles solutions. En Juillet 2018, Spendesk présentait sur son blog, la nouvelle néobanque Qonto au même niveau qu’une société comme N26. Un an plus tard, Qonto se positionne pourtant en concurrent direct de Spendesk, allant – comme cela se fait beaucoup – jusqu’à faire de l’Ads sur le nom de la marque.
De la même manière, Payfit s’est d’abord focalisé sur son outil de paye, avant de venir concurrencer Lucca sur le SIRH ; des sociétés comme Skello ou Snapshift, aujourd’hui vues comme complémentaires à Payfit pourraient un jour devenir ses concurrents. Autre exemple d’actualité, sur la téléconsultation, Doctolib vient aujourd’hui bousculer des acteurs historiques comme Qare, Consulib ou Maiia.
En dehors du développement de nouveaux produits, les pivots de start-ups peuvent aussi faire évoluer certains marchés. Ainsi, le récent pivot de Side sur l’intérim vient les positionner en challenger de sociétés établies comme Gojob, Qapa ou Brigade.
2. Les acteurs de « marchés adjacents » :
Quand on se lance dans une aventure entrepreneuriale, il est important de rester focalisé sur un marché précis. Plus la société prouve son modèle, plus la question se pose d’aller attaquer d’autres marchés. Skello qui s’est d’abord focalisé sur le marché de la restauration, n’a pas attendu longtemps avant de proposer son offre de planning aux retailers par exemple.
Si Wavy accompagnait la digitalisation des coiffeurs et Flexybeauty la digitalisation des instituts de beauté, ils sont finalement entrés en concurrence direct sur un marché plus large : celui des professionnels de la « beauté ».
3. Les fusion-acquisitions :
Les rachats entre start-ups sont aussi des éléments qui viennent transformer les paysages concurrentiels. Ainsi, avec le rachat de Pardot (lead management) par Salesforce en 2013, Hubspot voit arriver un nouveau concurrent sur son marché et lance en 2014 Hubspot CRM. En France, on pourra noter le rachat de Gowento par Splio, devenant concurrent de la solution de Captain Wallet (wallet mobile) ou encore le rachat de Ouibus par Blablacar qui a sans doute poussé Flixbus a contre-attaquer avec sa propre solution de covoiturage Flixcar. A l’heure où les questions de mobilité sont au cœur des préoccupations de nombreux Etats, beaucoup d’acteurs – comme Waze par exemple – pourraient d’ailleurs accélérer sur ce marché, changeant totalement la dynamique concurrentielle actuelle qui oppose souvent longues et courtes distances (Klaxit, Ecov…).
4. Les partenariats stratégiques :
En dehors des fusions & acquisitions, de plus en plus de start-ups nouent des partenariats forts que ce soit technologiques ou commerciaux. Alan est ainsi rentré sur le marché de la téléconsultation, non pas en développant sa propre solution, mais par une alliance avec une société spécialisée : Livi. Ainsi les partenaires de vos concurrents deviennent très vite vos concurrents !
Sur un plan plus commercial, de nombreuses start-ups revendent des technologies partenaires – en marque blanche ou non. Afin de ne pas citer de partenariats de revente censés rester confidentiels, je parlerai ici uniquement de notre expérience chez Partoo : en effet nous travaillons avec de nombreux revendeurs que ce soit des grands groupes comme La Poste ou des start-ups comme Evermaps et WebGéoServices.
5. Les concurrents à l’international :
De plus en plus, la concurrence entre start-ups est internationale. Alors que Doctolib rachetait son principal concurrent français Mondocteur mi-juillet 2018, la conquête de l’Europe est rapidement devenue un nouveau challenge. Docplanner, un acteur polonais, levait ainsi 80m€ en mai 2019 pour renforcer sa présence à l’international (Turquie, Italie, Espagne, Mexique et Brésil). Il ne faudra sans doute pas attendre longtemps pour que Zodoc valorisé plus de 2Mds€ (US) ou Practo (Inde) entrent aussi en concurrence avec ces deux champions européens.
Par ailleurs, les start-ups françaises s’internationalisent souvent de plus en plus tôt, que ce soit en Europe ou aux États Unis : Welcome To The Jungle, Aircall, Payfit, Tiller, Vectaury, PeopleDoc, Lengow, la liste est sans fin.
6. Les acteurs historiques :
La menace des acteurs historiques est le dernier axe que j’identifie comme important à analyser. Par acteur historique j’entends à la fois les grands groupes existants depuis des dizaines d’années, mais aussi les GAFAs. Par exemple, une question utile à se poser est la suivante : est-ce qu’un des GAFAs aurait un intérêt fort à développer une solution similaire ? Si oui en combien de temps pourraient-ils rattraper leur éventuel retard ?
Pour être franc, c’est une question que nous nous sommes posée chez Partoo et cela a bien entendu eu un impact sur notre stratégie, nos développements produits et notre vision. Beaucoup de marchés ont été ravagés par l’arrivée brutale d’un GAFA : les acteurs de la cartographie (OpenStreetMaps, TomTom, Mappy) ont ainsi subi la très forte concurrence de l’API de cartographie Google Maps, longtemps gratuite et devenue payante depuis quelques mois.
Malgré quelques cas d’école comme Slack ou Zoom (vs. Teams de Microsoft et Hang-out de Google), il reste en effet difficile de conserver des éléments différenciants quand un des GAFA décide de s’attaquer à votre marché. Surtout quand la solution est d’abord proposée gratuitement aux utilisateurs !
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J’ai écrit cet article sur la concurrence, car c’est sujet peu évoqué publiquement par les entrepreneurs, alors même qu’il est au cœur de la vie de toute entreprise. Cependant, même si la concurrence est un élément à toujours garder en tête, il reste important de ne pas en être obsédé !
En dehors des caractéristiques facilement comparables (prix, fonctionnalité), ce qui définit le positionnement d’une start-up c’est aussi sa vision, son ambition, sa roadmap, son engagement à satisfaire ses clients et ses valeurs d’entreprise. Et sur ces sujets, il est préférable de suivre sa propre voie !