Introduction
Santé mentale et performance : ces deux concepts peuvent-ils réellement aller dans le même sens ? À première vue, on associe souvent la santé mentale à des troubles ou des difficultés. En effet, on estime qu’une personne sur trois sera touchée par un trouble mental au cours de sa vie. Pourtant, réduire la santé mentale à cette vision négative n’est pas juste. Elle peut, au contraire, devenir un puissant levier d’épanouissement et de performance.
Pour mieux comprendre cette dynamique, il suffit de se tourner vers le sport de haut niveau. Chez moka.care, nous avons eu l’occasion d’explorer ce sujet en profondeur grâce à notre podcast Les secrets du mental, où nous avons interviewé plus de 30 athlètes de haut niveau. Nous avons cherché à comprendre comment ces champions prenaient soin de leur mental, et à identifier ce qui se cache derrière des termes souvent utilisés comme « mental de champion » ou « victoire au mental ».
De ces échanges, deux grandes leçons émergent :
- La santé mentale est une composante essentielle de la performance.
- La santé mentale n’est pas une qualité innée, mais un muscle qui se développe à force d’entraînement.
Dans cet article, nous verrons comment ces leçons peuvent s’appliquer au monde du travail, avec des exemples concrets issus des pratiques des athlètes de haut niveau.
Partie 1 : Comprendre le lien entre santé mentale et performance
Il n’y a pas de performance sans santé mentale : l’exemple de Simone Biles
La carrière de Simone Biles, icône de la gymnastique américaine, montre à quel point la santé mentale est cruciale pour la performance. Aux Jeux Olympiques de Tokyo en 2021, alors qu’elle est attendue comme la grande favorite, Simone se retire de plusieurs épreuves pour “se concentrer sur sa santé mentale”. Elle révèle également avoir souffert de “twisties”, une perte soudaine de repères dans l’espace, un phénomène particulièrement dangereux pour une gymnaste. Or, ce phénomène qui ne l’avait jamais touchée auparavant était certainement dû au haut niveau de stress et de pression ressenti par la gymnaste lors des Jeux – montrant dans le même temps que lorsque la santé mentale est fragilisée, c’est parfois le corps qui l’exprime.
Cet événement, largement médiatisé, a permis de briser un tabou : le bien-être personnel passe devant les médailles.
Simone Biles aux Jeux Olympiques de Rio en 2016
Trois ans plus tard, aux Jeux Olympiques de Paris en 2024, Biles fait un retour triomphal, et remporte quatre médailles dont trois en or. Elle qui est devenue une ambassadrice de la santé mentale, a partagé ouvertement son recours à la thérapie dans le documentaire Le Nouvel Essor de Simone Biles.
Son histoire illustre parfaitement le pouvoir de la santé mentale sur la réussite, et rappelle l’importance de prendre soin de soi pour performer à long terme.
La résilience, clé du succès : l’exemple de Roger Federer
Le tennisman Roger Federer est un autre exemple de la résilience mentale comme clé de la réussite. Durant sa carrière, Federer a joué plus de 1 500 matchs, en remportant environ 80%. Mais il n’a gagné que 54% des points joués. Autrement dit, même un champion de son envergure passe près de la moitié de son temps à perdre sur le terrain !
Or, c’est cette capacité à surmonter l’échec et à rester mentalement présent qui définit les meilleurs athlètes. Comme l’a dit Federer lors d’un discours à l’Université de Dartmouth :
« Les meilleurs ne sont pas ceux qui gagnent tous les points, mais ceux qui savent qu’ils vont perdre encore et encore, et qui ont appris à le gérer. Vous pleurez si vous en avez besoin, puis vous vous forcez à sourire. Vous avancez sans relâche. Vous grandissez, vous travaillez plus dur, plus intelligemment.»
Partie 2 : Comment les athlètes développent leur santé mentale comme un muscle
Dans le sport de haut niveau, la santé mentale n’est pas une qualité que l’on possède ou non ; elle se cultive. Aujourd’hui, de plus en plus d’athlètes intègrent des pratiques spécifiques à leur entraînement mental, au même titre que la préparation physique ou technique.
Limiter les interférences pour maximiser la performance : la théorie du “jeu interne” de Timothy Gallwey
Selon Timothy Gallwey, coach et auteur du livre The Inner Game of Tennis, la performance peut se définir par l’équation suivante :
Autrement dit, la performance est non seulement liée à nos capacités techniques, mais aussi à la manière dont nous gérons les distractions, la peur et les doutes internes.
Il prend l’exemple d’un match de tennis pour illustrer cette théorie. Dans un match de tennis, deux jeux se déroulent en parallèle : le “jeu externe”, contre l’adversaire et le “jeu interne”, qui se joue contre soi-même : “contre la peur, le doute de soi, les sauts de concentration, les hypothèses et concepts limitants”.
Développer ses habiletés mentales, au fondement de la préparation mentale
La préparation mentale se concentre sur le développement de trois habiletés mentales :
- les habiletés de base : l’envie et le fait de croire en son potentiel et de croire en soi. Ces habiletés sont le socle de base sur lequel reposent les deux autres types d’habiletés mentales.
- les habiletés psychosomatiques : elles englobent les pratiques qui permettent de réagir et de gérer son stress, son anxiété, ses émotions.
- les habiletés cognitives : la concentration, l’attention, le fait de se concentrer sur des pensées et croyances positives.
Construire la résilience sur le long terme : l’apprentissage de l’échec
Les athlètes apprennent à ne pas dramatiser l’échec.
Alizé Cornet, recordwoman de participations consécutives en Grand Chelem (69), nous raconte que sa motivation a longtemps été alimentée par une haine viscérale de la défaite, plus que par l’envie de gagner. On comprend vite que dans cette dynamique, chaque défaite est d’autant plus douloureuse.
Le déclic, Alizé l’a eu grâce à un travail personnel, sur elle-même, qu’elle a mené. Elle a appris à dissocier son identité de ses performances sportives, pour ne plus s’identifier à ses échecs.
“Je me suis rendue compte que j’avais beaucoup basé mon épanouissement sur ma vie professionnelle. Et finalement, ce n’était pas le bon calcul. […] C’est important de se connaître et de savoir qui on est en dehors de son sport. Si je ne me résume pas à mon sport, je vis mieux la défaite.”
Quand on fait l’expérience de la défaite aussi fréquemment qu’un athlète de haut niveau, il faut absolument distinguer l’être du faire : rater n’est jamais être un(e) raté(e).
Partie 3 : Leçons pour le monde du travail
La santé mentale est un levier essentiel de la performance, non seulement dans le sport, mais aussi dans le monde professionnel. Voici trois clés inspirées par les athlètes de haut niveau, que chacun peut tenter d’appliquer au quotidien.
1. Travailler sur ses forces
Il existe deux types de motivation : la motivation intrinsèque (liée à des objectifs personnels, au plaisir de l’effort, ou à la quête de sens) et la motivation extrinsèque (motivée par les récompenses comme la gloire, l’argent ou la reconnaissance sociale).
Les sportifs trouvent leur motivation dans un but profond, au-delà de la simple victoire. On ne peut pas être animé et trouver du sens à chaque petite tâche que l’on accomplit au quotidien, que l’on soit sportif de haut niveau ou salarié en entreprise. Mais on peut s’entraîner à repérer celles qui nous procurent de l’énergie plus qu’elles n’en consomment.
Souvent, cela commence par bien identifier ses talents et ses forces.
C’est ce dont le skieur Edgar Grospiron a fait l’expérience au début de sa carrière. Voici l’anecdote qu’il nous a partagé :
“Le jour où je suis devenu champion du monde pour la première fois, mon coach est venu me voir et m’a dit : “Maintenant, à toi de réfléchir à la manière dont tu vas aller à un niveau supérieur.” Je lui ai répondu que je savais qu’il fallait que je corrige toutes mes fautes techniques car ce sont ces fautes qui me faisaient perdre le plus de points. Et pour corriger ces fautes, j’étais prêt à sacrifier la vitesse. Or, skier vite, c’était mon plaisir. Mon coach n’a pas hésité à me mettre face à mes contradictions : “donc tu penses que tu vas arriver au niveau supérieur en prenant moins de plaisir et pour un résultat que tu n’es pas sûr d’atteindre ?”. Effectivement, vu comme ça, ma stratégie n’était pas la bonne. Au contraire, il m’a incité à mettre mon exigence sur ma vitesse, parce que c’est justement ce sur quoi j’étais bon. Ça a marché. […] Il a créé les conditions pour que plus rapidement que ce que je pensais, j’arrive à faire une différence sur ma force par rapport à mes adversaires, en étant en confiance.
J’ai toujours gardé ce conseil : sois exigeant sur tes forces et indulgent sur tes faiblesses ; tu verras que tu sauras utiliser tes forces pour compenser tes faiblesses”.
2. Gérer le stress et la pression :
Dans le sport de haut niveau, la gestion du stress et de la pression est cruciale. Les athlètes apprennent à rester calmes dans des moments critiques grâce à des pratiques comme la méditation ou la respiration. La pleine conscience est souvent utilisée pour recentrer l’attention sur le moment présent et ainsi mieux gérer les situations stressantes.
La surfeuse Justine Dupont, multiple championne de surf et spécialiste de ce que l’on appelle le “surf de grosses vagues (7 à 20 mètres), pratique par exemple ce que l’on appelle la “présence ouverte” :
“ Surfer une vague de 20 mètres de haut peut être dangereux je le sais. Quand la peur s’invite, je me reconnecte à au moins 3 sens pour me recentrer sur l’instant présent : j’observe les reflets de la lumière sur l’eau, j’écoute le bruit des vagues, je mets un peu d’eau salée dans ma bouche…Cela m’aide à revenir dans l’instant présent et à limiter les projections dans le futur : la peur de tomber, de me blesser…”
3. Se concentrer sur la progression plus que sur l’objectif
Un objectif trop ambitieux peut être paralysant. Un objectif qui ne l’est pas assez ne pousse pas à se dépasser. Camille Lacourt, quintuple champion du monde, nous partage son expérience :
“Un objectif doit être très concret et accessible. Si je me réveille un matin et que je me dis : “mon objectif, c’est d’être champion du monde ou champion olympique”, c’est vertigineux, paralysant. Être champion du monde, c’est arriver tout en haut de l’Himalaya : comment on fait pour monter ? quelles sont les étapes intermédiaires ? Il faut se donner des objectifs à court terme, quasi journaliers pour créer une inertie. Tous les jours, il faut avoir l’impression d’avancer vers ce but. La direction reste la même, mais on se concentre sur les étapes intermédiaires.”
Structurer sa progression permet de garder le cap, et de rester engagé dans son projet. Le sentiment de progression crée un cercle vertueux. Pour l’alimenter, Camille Lacourt insiste sur l’importance de concentrer son cerveau sur le positif. Il nous raconte par exemple qu’il imagine, quand il nage, avoir un sac à dos sur le dos :
“À chaque fin de séance, j’y mettais une petite idée positive. Même des séances où j’étais à la cave, où j’étais épuisé, je me disais : “aujourd’hui, j’ai bien fait mes virages, j’ai bien fait mes coulées, j’ai bien fait ci, j’ai bien fait ça…”, des trucs qui peuvent sembler dérisoires ! […]
Et j’avais des copains, quand ils faisaient des mauvaises séances, ils sortaient en se disant : “je n’ai pas bien fait ça, je n’ai pas bien fait ça”. Ils n’avaient pas conscience qu’ils mettaient des pierres, des rochers de négativité dans leur sac. Et quand on arrive en compétition, si on a un sac avec des pierres qu’il faut tirer, c’est trop dur. Alors que moi, j’étais vraiment léger, je n’avais que du positif.”
Conclusion
La santé mentale n’est plus un sujet tabou, ni dans le sport, ni en entreprise. De plus en plus de leaders reconnaissent que pour performer sur le long terme, il est indispensable de prendre soin de son mental. Les exemples de Simone Biles, Roger Federer et d’autres athlètes de haut niveau nous rappellent que la résilience, la gestion de l’échec, et la capacité à réduire les interférences sont des compétences que nous pouvons tous développer. Ces leçons sont tout aussi pertinentes pour les entreprises qui cherchent à améliorer la performance de leurs équipes dans un environnement en constante évolution.
Certaines entreprises l’ont compris. Deloitte, par exemple, a intégré cette approche en offrant à leurs employés un accès à des ressources de santé mentale, notamment des thérapies en ligne et des formations sur la gestion du stress. En 2021, après avoir constaté une hausse des arrêts maladie liés à l’épuisement, Deloitte a mis en place des « journées bien-être » pour encourager le repos mental, avec des résultats probants sur la satisfaction et la productivité des équipes.Autre exemple : Chez Google, les équipes sont formées à la gestion de l’échec à travers des programmes comme le célèbre Search Inside Yourself, qui combine neurosciences et pratiques de pleine conscience pour développer l’intelligence émotionnelle des salariés. Apprendre à accepter l’échec comme partie intégrante du processus d’innovation est devenu un pilier de la culture de Google.