En ce début d’année 2025, tous les entrepreneurs et dirigeants d’entreprise se posent la même question : en quoi l’intelligence artificielle est-elle une menace ou une opportunité pour mon business ?
En tant que co-CEO de Partoo, l’analyse récente du CEO de Microsoft sur le monde du SaaS (“Software as a Service”) m’a donc intriguée. En effet, selon Satya Nadella, qui dirige Microsoft depuis 10 ans, l’avènement des agents IA va causer « l’effondrement » des applications SaaS. Cette prédiction m’a amené à creuser le sujet, à me renseigner un peu plus sur les Multi-agent Systems et enfin à anticiper la manière dont nous souhaitons nous adapter à ce nouveau paradigme au sein de Partoo. Cet article est le résultat de ces réflexions.
SaaS vs. IA : un nouveau paradigme ?
Dans l’analyse proposée par Satya Nadella, les applications SaaS traditionnelles se résument principalement à des bases de données CRUD (Create, Read, Update, Delete). Plus précisément, les logiciels SaaS seraient ainsi composés de trois éléments : des interfaces, des bases de données et des règles métier. On pourrait donc définir un SaaS comme :
- Un ensemble d’interfaces plus ou moins sophistiquées…
- …permettant à des utilisateurs d’accéder et modifier des bases de données…
- …sur lesquelles sont aussi appliquées des logiques métiers – via des automatisations.
C’est une définition très simpliste, mais elle s’applique à la plupart des SaaS – que ce soit Salesforce, Asana, Notion… ou encore Partoo.
Les « automatisations » définies par les règles métiers permettent au logiciel d’apporter un supplément de valeur. Chez Salesforce, ces automatisations sont appelées « workflows » : elles sont définies par des règles du type « si x alors y ». Les workflows entre différents SaaS reposent sur des intégrations utilisant des APIs, qui permettent aux logiciels de partager des données et d’exécuter des actions de manière synchronisée.
Mais l’avènement des Agents IA pourrait changer la donne.
En effet, la vision portée par Satya Nadella et bien d’autres, définit les Agentics (agents IA) comme des entités autonomes capables d’utiliser différents applicatifs pour atteindre leurs objectifs. A l’avenir, ces Agents IA auront donc pour rôle d’utiliser un ensemble de logiciels pour automatiser les process métier d’une entreprise. A la différence des logiciels SaaS, les Agents IA ont la capacité d’appliquer les logiques métier de manière transversale en utilisant des bases de données et des outils variés : ils sont donc mieux positionnés que les logiciels SaaS pour intégrer des logiques business cross-logiciels.
Ainsi, avec le temps, ces agents devraient peu à peu s’approprier l’intelligence métier et rendre inutile la définition de règles au sein de chaque application SaaS.
Dépossédés de leurs logiques métiers, les logiciels SaaS seront alors relégués à de simples bases de données et interfaces utilisateurs.
Par ailleurs, à l’avenir, les agents IA ne se soucieront plus de la structure des bases de données sous-jacentes & du back-end. Ils pourront interagir avec tout type d’applications, sans nécessiter de développements spécifiques : les applications SaaS seront alors facilement interchangeables. Il ne resterait donc au SaaS qu’un rôle d’interface utilisateur… Pas top comme prévision !
Un nouveau paradigme
Cette vision donne donc des pistes d’évolution du marché du SaaS à moyen / long terme en identifiant des risques majeurs pour l’industrie dans son ensemble. Si ces changements ne sont pas pour demain, tout entrepreneur de logiciel SaaS doit prendre en compte ce (potentiel) nouveau paradigme en repensant son logiciel non pas comme une base de données dont la gestion serait en partie automatisée par des règles métiers mais comme une application conçue dès le départ pour fonctionner avec des agents d’IA…
Sauf que pour qu’un logiciel soit “utilisable” par un un Agent IA, il n’y a qu’à le rendre disponible par API – un standard dans l’industrie du SaaS. L’enjeu n’est donc pas uniquement de “rendre son SaaS utilisable par des agents IA” mais plutôt de commencer à construire dès aujourd’hui un réseau d’agents IA directement intégré à la proposition de valeur. Plutôt que d’opposer Agents & SaaS, l’idée serait plutôt de les réconcilier au sein d’une offre de service plus complète.
Jim et les Multi-agents System
Partoo propose diverses solutions digitales à destination des réseaux de points de vente pour les aider à gagner en visibilité locale, améliorer leur réputation en ligne et renforcer leur relation client. En particulier, nous développons depuis près de quatre ans une solution de messagerie automatisée pour connecter les retailers avec leurs clients, que ce soit sur WhatsApp, Messenger, Instagram, SMS ou téléphone.
Pour automatiser les interactions messages, nous avons développé notre propre Agent IA. Ce-dernier, baptisé JIM, répond à des milliers de messages par jour pour le compte de nos clients, que ce soit sur WhatsApp ou d’autres canaux de messagerie.
Concrètement, nous utilisons des LLM (OpenAI sur Azure) en nous appuyant sur des bases de connaissances et des prompts personnalisés par client. JIM peut être connecté à d’autres applications et données externes pour améliorer ses réponses et prendre des actions pour le compte de ses interlocuteurs. Si ce sujet vous intéresse et que vous souhaitez lancer un chatbot WhatsApp sur votre site en moins de 30 minutes, j’ai écrit cet article qui pourrait vous intéresser.
JIM a permis à Partoo de découvrir le monde passionnant des Agents IA et leur fonctionnement… et le monde encore plus passionnant des Multi-Agents System. C’est à l’été 2024 que j’ai découvert le concept d’Agentic System ou Multi-Agent System via la formation gratuite du CEO de CrewAI, disponible gratuitement sur Coursera.
Car JIM a initialement été pensé comme un assistant monolithique, c’est-à-dire composé d’un seul modèle pour traiter toutes les demandes des internautes. Dans cette configuration, le même Agent IA peut traiter des questions relatives aux points de vente de nos clients, aux produits, potentiellement prendre des rendez-vous ou encore accompagner son interlocuteur dans le suivi de sa commande. Ce set-up convient pour des tâches simples, mais atteint vite ses limites lorsque les tâches varient et se complexifient. C’est là que le concept de “Multi-Agent System” entre en jeu.
On constate en effet que plus un agent est spécialisé sur une tâche simple (focus), plus il est efficace dans cette tâche : il la réalise mieux et pour un coût plus faible qu’un agent IA généraliste. Au contraire, si on donne un prompt trop long à un agent IA, ses performances baissent et les coûts augmentent. Faire travailler des agents spécialisés ensemble en les faisant collaborer permet aussi à chaque agent d’utiliser ses propres outils, d’avoir son propre rôle (role-play & back-story) et de limiter les hallucinations et autres sorties de pistes. Enfin, faire collaborer différents agents IA leur permet de s’approprier des outils bien à eux et favorise leur mémoire et donc leur amélioration continue.
Si le sujet vous intéresse, je vous conseille la lecture de cet article LinkedIn de Jérémy Bron, qui en résume le fonctionnement. Si vous souhaitez reprendre tous les concepts IA depuis le début, n’hésitez pas à visionner les 4h de webinars qui composent l’IAcadémie, une formation gratuite que j’ai publiée sur Youtube.
Mais pour que vous puissiez vous projeter dans du concret, prenons l’exemple de Partoo et de Jim.
Jim & Jimmies : un Multi-agent System en construction
Comme nous le disions, l’agent IA de Partoo (Jim) a initialement été conçu comme un agent généraliste. Cela signifie que chaque action qu’il doit prendre est détaillée dans son prompt, c’est-à-dire les instructions qu’il doit suivre. L’allongement du prompt a un impact sur les coûts d’IA, l’efficacité de l’agent et le risque d’hallucinations. Plus Jim doit traiter de use-cases, moins Jim est performant…
Et pour certains clients, Jim doit traiter des dizaines de cas d’usage, tout en faisant appel à un grand nombre de bases de données. Pour baisser les coûts, la première étape est d’utiliser du RAG (Retrieval Augmented Generation). Mais si Jim doit faire du RAG sur des dizaines de bases de données différentes en fonction de la question de l’utilisateur, il risque de rapidement perdre la tête.
Nous avons donc décidé de changer d’approche et créer des Agents IA spécialisés qui collaborent entre eux. Par exemple, il nous est régulièrement demandé d’obtenir des informations en fonction de l’adresse physique d’un internaute. En effet, l’interlocuteur souhaite connaître le point de vente le plus proche de lui, ses horaires ou ses stocks sur un produit en particulier. Plutôt que de demander à Jim d’accéder à la base de données point de vente, nous pensons qu’il est préférable que Jim demande à un agent spécialisé de récupérer cette information.
Les agents spécialisés sont appelés des Jimmies.
De cette manière, un Jimmy peut être spécialisé dans la « localisation » de la requête, un autre dans la gestion des informations produit, un troisième dans les questions de recrutement.
Mais les Jimmies pourraient aussi effectuer des actions pour le compte des clients : prendre un rendez-vous, commander un produit, demander une estimation immobilière. Au-delà de lire des informations, les Jimmies pourraient interagir avec d’autres systèmes et effectuer des requêtes. Nous travaillons ainsi sur un outil de collecte de leads par langage naturel qui peut être connecté à n’importe quel CRM : les données requises pour sauvegarder le lead (prénom, nom, email…) sont alors envoyées au bon système au moyen d’un webhook. Le logiciel de traitement du lead pourra alors être Salesforce, Hubspot ou n’importe quel autre CRM ou outil de réservation !
Dans un Multi-agent System, la spécialisation améliore les performances… mais c’est la collaboration entre les agents qui crée la magie !
Au-delà de la délégation du manager (Jim) à ses collaborateurs (les Jimmies), certaines requêtes peuvent demander la collaboration de plusieurs agents IA. Ainsi, si on demande à l’agent d’un réseau de points de vente « où puis-je trouver un Iphone 5 près de Guy Moquet ? », Jim devra tout simplement demander au « Jimmy localisation » une liste des magasins du réseau situés à proximité de Guy Moquet, information qui sera envoyée au « Jimmy produit », pour que ce dernier vérifie les stocks d’Iphone 15 dans chaque magasin avant que Jim ne synthétise l’information au travers d’une réponse en langage naturel via WhatsApp !
Quel avenir pour les SaaS ?
L’effondrement des SaaS prédit par Satya Nadella ne serait donc pas une fatalité.
Pour conserver les logiques métiers dans leur proposition de valeur, les logiciels SaaS devront sans doute intégrer à leur offre des Agents IA… idéalement sous la forme de Multi-agent System.
Les logiques métiers des SaaS ne seraient alors plus codées sous la forme de règles, d’automatisation, de workflow et d’APIs mais sous la forme de collaborations entre différents agents IA. Cette question est tout aussi floue pour moi qu’elle me semble intéressante à creuser car elle pourrait redéfinir l’écosystème tech tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Vers un modèle d’Agents as a Service
Dans ce contexte, certains prédisent l’avènement des modèles “Agent as a Service” (AaaS), permettant aux entreprises de souscrire à des Multi-agent System déjà existants sur le marché. Ces nouveaux logiciels seraient alors composés d’interfaces utilisateurs, de bases de données et d’écosystèmes d’agents IAs spécialisés, capables de collaboration et détenteurs d’une logique métier personnalisable par le client. Ces Multi-agents System auraient notamment la capacité d’agir sur les bases de données propres à un domaine en particulier mais aussi d’interagir avec d’autres bases de données et systèmes externes pour atteindre leurs objectifs.
Dans le cas de Jim, l’agent IA de Partoo, cet objectif serait alors d’améliorer l’expérience client, de maximiser les revenus des retailers ou d’attirer plus de clients en points de vente. Une vision que nous avons hâte de réaliser dans les prochaines années !
Note : cet article a été rédigé sans IA.