Dans cet article nous allons présenter les méthodes qui nous ont permis à sunday d’évoluer, dans un contexte d’hyper-croissance (et de relative instabilité, disons-le), pour construire la roadmap de la partie concernant les Sales Operations.
Nous facilitons l’expérience de paiement dans les restaurants, avec une solution de paiement et de commande à table par QR code. Lancée en avril 2021, la croissance a été fulgurante : 120 m€ levé en série A, jusqu’à 400 personnes et une activité dans 8 pays avant un pivot majeur. En mai 2022, nous avons amorcé la fermeture de certains pays et ralenti pour se focaliser sur les marchés les plus porteurs.
Cela pourrait même être le sujet d’un nouvel article, mais revenons-en à l’équipe “RevOps”. Nous sommes 4 désormais dont 1 Lead CRM, 2 Sales-Ops, 1 CSM Ops, pour une soixantaine de sales, CSM, AM… dans 3 pays (🇺🇸, 🇫🇷, 🇬🇧).
J’ai partagé mon retour d’expérience sur la construction de notre roadmap de Sales Opérations à l’occasion de la soirée d’été du Business Ops Network. Si tu n’y étais pas alors cet article est fait pour toi.
💡Tu vas y découvrir :
- Pourquoi faire sa roadmap, c’est clef dans une fonction ops
- Une méthode pour la structurer
- Des conseils pour rester aligné avec l’intérêt de l’ensemble de l’organisation
Mais avant tout, si le concept de Sales (ou Revenue ou Business) Operations ne vous parle pas, je vous renvoie à d’autres articles qui vous aideront à mieux comprendre de quoi l’on parle.
La roadmap, c’est ta boussole pour les 3 prochains mois
A priori, rien ne t’oblige à construire une roadmap.
C’est un exercice théorique, et cela n’apporte aucune valeur “directe” à tes parties prenantes (tes collègues, et les différents métiers avec lesquels tu interagis). Pas non plus à la croissance de l’activité de ta boîte (directement en tout cas).
Alors pourquoi une roadmap ?
Deux raisons principales me viennent en tête.
1. Donner le cadre de ses actions, formaliser le rôle de son équipe.
Contrairement aux fonctions plus intuitives que sont les ventes, le suivi client, ou même le produit ou la tech, les fonctions “opérations” telles qu’elles existent dans les startups aujourd’hui sont relativement émergentes.
Leur objectif est donc souvent moins évident et la question de celui-ci mérite d’être posée explicitement. Un commercial vend, un responsable client gère des clients, un développeur améliore le produit, mais que fait l’ops ?
La roadmap, c’est d’abord l’occasion pour l’ops de clarifier et communiquer à l’ensemble de l’organisation quelle est sa mission première.
2. Pouvoir se projeter sur une vision à moyen et long terme (3/6 mois en général)
Élément indispensable (à titre personnel, en tout cas) pour se projeter et évoluer dans une organisation : avoir le sentiment d’apporter de l’impact, de construire quelque chose et de progresser constamment.
Préparer sa roadmap au début d’un trimestre, c’est donc la possibilité de se fixer des objectifs d’impact et de faciliter le travail de bilan qui s’effectuera à l’issue de celui-ci.
Sans objectif (et donc de roadmap préalable), on s’expose au risque d’arriver en fin de trimestre avec l’incapacité de s’évaluer, de démontrer son impact et d’itérer pour progresser.
Étape 1 – Poser les bases pour établir son périmètre
Si cela n’a pas été fait auparavant (prise de poste, création d’équipe, réorganisation), c’est forcément la première étape.
- Positionner d’abord votre équipe au sein des différentes entités de l’organisation, formaliser les grandes tâches et objectifs relatifs à la mission de l’équipe.
- Regrouper ensuite ces grandes tâches et objectifs en des sous-parties en suivant une segmentation MECE (la base – le meilleur apprentissage du consultant).
Bien sûr, ces grands objectifs sont dépendants de l’étendue de votre périmètre d’actions. De mon côté chez sunday, il se limitait aux opérations commerciales, mais si votre équipe est concernée par l’ensemble des opérations (incluant CSM, Marketing par exemple), vous serez amené à adapter cette segmentation.
Gardez toutefois en tête de n’avoir qu’entre 3 et 10 grandes thématiques (quitte à ajouter ensuite un niveau de subdivision) car au-delà, cela risque de devenir trop complexe à appréhender facilement en globalité.
Une fois ce périmètre bien établi, validez le évidemment avec toutes vos parties prenantes et ajustez si besoin : votre management, le leadership, les responsables d’équipes adjacentes (data, product, customer success, sales…).
Si le travail a été bien fait, tous vos prochains projets et missions devront pouvoir découler directement d’un (ou de plusieurs) de ces grands axes. Si vous découvrez plus tard que ce n’est pas le cas, rien ne vous empêche d’itérer et de revoir les axes où leur segmentation.
À ce stade, vous êtes d’ores et déjà capable de valider votre “mission” clef, et pourriez d’ailleurs déjà y attacher l’indicateur étendard de votre équipe (mais on y reviendra).
Étape 2 – collecter les besoins et proposer des évolutions
1. Identifier les besoins
Ici, il va s’agir simplement de comprendre et connaître le funnel de revenu de l’organisation (process, outils, équipes et rôles) afin de pouvoir l’analyser, et proposer des améliorations.
Enfonçons donc quelques portes ouvertes :
- Parlez aux équipes métiers régulièrement (opérationnels, manager, leadership).
- Rentrez dans les détails des process dès que vous le pouvez.
- Participez aux teams meetings de vos “clients” internes.
- Faites du “shadowing” quand vous le pouvez (= observer directement l’utilisation d’outil, le déroulement de process par un utilisateur commercial par exemple).
- Demandez régulièrement s’il y a des process pénibles, ou des choses à améliorer (et considérez ces retours).
Un des défauts les plus communs chez les ops (et celui qui est le plus souvent pointé du doigt par les fonctions métier de la vente ou du service client), c’est celui de n’être pas assez proche du terrain.
Et je pense qu’il est souvent justifié. Je vois encore trop d’ops mettre en place des process laborieux, et les justifier au motif que “le commercial peut bien faire cette petite action en plus”. C’est négliger largement l’impact sur la dynamique d’un commercial, des actions réalisées à de multiples reprises quand elles n’ont aucune valeur ajoutée pour la vente (- et souvent dans un but de pur reporting d’ailleurs).
2. Proposer des évolutions
Ici, vous allez (enfin) pouvoir exprimer votre créativité d’ops et faire parler votre expérience.
En fonction des problèmes remontés dans la première phase, mais aussi des benchmarks et idées que vous pouvez glaner en externe sur d’autres organisations plus matures (via la communauté du Business Ops Network par exemple), vous allez pouvoir proposer des évolutions sur les différents métiers de votre périmètre.
Prenez le temps (avec votre équipe) de consolider une liste aussi exhaustive que possible, avec tous les projets qui pourraient selon vous être adressés et apporter de la valeur. À ce stade, pas besoin de les étayer davantage : contentez-vous d’énoncer les idées avec quelques éléments et de les répartir suivant votre segmentation de l’étape 1.
N’hésitez pas à proposer davantage de projets que ce que vous pensez pouvoir réaliser dans le prochain semestre, cela servira à donner d’avantage de vision pour le long terme, et à évaluer leur intérêt pour l’organisation même pour des évolutions plus lointaines dans le temps.
Assurez-vous simplement de ne pas pousser des propositions irréalistes techniquement. Pour cela, elles doivent au moins cocher l’une de ces 2 options :
- Vous savez qu’elles ont déjà été mises en place dans une autre organisation
- Vous avez une idée relativement précise de comment les mettre en place techniquement.
Étape 3 – structurer et prioriser les projets avec le business
Maintenant que vous avez constitué la liste des potentiels projets sur lesquels travailler, vous pouvez être force de proposition auprès de vos parties prenantes et prioriser avec eux les différentes options.
Chez sunday, cela consistait à partager la liste avec des propositions de priorisations aux autres équipes ops (salesforce admin, CSM ops), et fixer des points d’alignement pour la discuter avec le Chief Sales Officer et les Head of Sales de chaque pays.
Une fois d’accord sur les projets à prioriser, étayez les principaux en essayant d’estimer “à la louche” le temps de livraison nécessaire. Précisez à chaque fois le calendrier, les grands livrables, l’owner et les contributeurs.
Spoiler : ce calendrier ne sera évidemment pas tenu, et probablement que l’ordonnance des projets sera bouleversée, mais au moins vous aurez une vision beaucoup plus clair en fin de trimestre sur ce qui a dû être adapté, modifié et de ce qui devra être adressé pour le prochain trimestre.
À noter également qu’il vous faudra intégrer à cette roadmap tout ce qui touche à du “Run” opérationnel et des projets ad-hoc qui viendront durant le trimestre. Cela permettra d’intégrer cette dimension et de faire en sorte que toutes tâches du trimestre puissent s’intégrer à un de ces grands projets (“Epic” comme on les a nommés chez sunday).
Etape 4 – construire ses OKR et mesurer son impact
On l’a dit plus haut, l’idée des OKR est d’avoir une vision objective de l’impact de l’équipe sur le business.
Pour l’équipe Sales Performance de sunday, nous avons établi 2 niveaux d’objectifs et de résultats associés.
1. L’Objectif “North Star” et sa métrique
L’idée, c’est d’avoir l’indicateur principal qui révélera la performance de l’équipe. Quelle évolution de métrique peut prouver que notre équipe est performante et apporte de la valeur à l’organisation ?
Même si cela peut paraître abstrait, l’idée est de sélectionner un indicateur dont le suivi dans le temps pourra réellement être corrélé avec l’efficacité de l’équipe (même s’il dépend évidemment d’autres paramètres également).
Dans ma vision de l’organisation entre Ops et Métiers (Marketing / Sales / CSM), le partage des métriques peut être approché comme suivant :
- Les métiers sont garants des métriques volumiques, qui témoignent de la croissance de l’activité (ex : les sales reportent sur le chiffre d’affaires ou le MRR, le marketing sur le nombre de MQL, les CSM sur le montant de renew…)
- Les fonctions ops associés reportent sur des métriques d’optimisation et d’efficacité : en équipe Sales Ops, on va donc typiquement reporter sur le chiffre d’affaires signé par un responsable commercial
À noter qu’à notre niveau de maturité et compte tenu de la nature de notre business model (avec des factures à l’usage de notre produit), l’indicateur du chiffre d’affaires signé, était jusqu’à présent trop difficile à déterminer au moment de la signature (notamment avec une évolution constante des facteurs qui pourraient le calculer).
Nous sommes donc passés par un proxy plus mesurable dans un premier temps, avec le Chiffre d’Affaires Annuel estimé pour les restaurants signés. C’est loin d’être parfait, mais la maturité de notre modèle évoluant rapidement, l’objectif du Q3 visait justement à s’appuyer désormais sur une métrique “North Star” plus alignée avec le revenu réel généré par la signature.
2. Les sous-résultats associés aux Epics du trimestre
En plus de la “North Star” métrique “macro”, des indicateurs plus spécifiques associés aux projets majeurs du trimestre permettent de donner une meilleure visibilité sur les résultats de l’équipe.
En bons objectifs SMART, ces indicateurs doivent être quantifiés. À la fin de ce trimestre, quel facteur / résultat me permettra de considérer la réalisation de ce projet comme un succès ?
Pour une fonction Ops qui gère des projets “Build” plus qualitatifs, cela relève forcément d’une part d’arbitraire, mais cela restera toujours plus objectif que l’absence d’éléments quantitatifs.
Pour une équipe qui inclue une part de support et de formation, l’évolution d’un NPS interne est représentative et facile à intégrer.
Étape 5 – communiquer (beaucoup)
On arrive à l’étape la plus importante selon moi, notamment pour une startup qui a dépassé le stade des 50 employés.
1. Technique VS communication, le dilemme du sales-ops
Premier écueil à éviter : penser qu’un sales-ops doit se focaliser uniquement sur la technique. Au contraire, 60% du job consiste plutôt à bien communiquer, être proche des sales, comprendre leurs besoins, maîtriser et aligner les équipes sur les mêmes process.
C’est une des grandes différences avec un CRM Admin, beaucoup plus technique dans l’approche, ou un growth-ops, qui va davantage travailler sur de la data externe et des process 100% automatisés, sans devoir se concentrer sur la communication interne, la formation et le support.
2. Toucher tous ses interlocuteurs
Une fois la roadmap formalisée, ne soyez pas avare pour la partager à toutes les parties prenantes, même indirectes : leadership, sales management, sales users, autres équipes (data, CSM, produit…). C’est tout l’intérêt d’avoir une feuille de route unique et exhaustive pour le trimestre.
Ne lésinez pas sur les canaux : mails, slack, meetings…
3. Communiquer tout au long du processus de construction de la roadmap
En fonction du moment où vous la partagez, l’objectif n’est pas le même.
- Avant, pour collecter et s’assurer qu’on a bien cadré les besoins de l’organisation
- Pendant la construction, pour s’assurer qu’on est toujours bien aligné…Et teaser les projets qu’on pense pouvoir proposer (toujours un bon moyen de confirmer ou non leur intérêt pour l’organisation)
- Après, pour former, assurer l’adoption et itérer.
Etape 6 – dérouler et délivrer
Étape bonus, car plutôt post-construction, avec quelques tips pratiques pour garder une ligne directrice et continuer à délivrer même dans un contexte en constante (et rapide) évolution :
1. Préparer des routines pour gagner en efficacité
Éviter les points ad-hoc qui apparaissent au cours de la semaine. Faîtes en sorte de consigner au maximum vos communications dans des points récurrents beaucoup plus simples à organiser et structurer. Évidemment, on ne tombe pas dans la réunionnite : les points sont préparés avec un ordre du jour et on n’hésite pas à les supprimer si aucun besoin d’alignement n’a émergé durant la semaine.
Chaque point ad-hoc qui émerge demande en général au moins une quinzaine de minutes supplémentaires rien qu’en organisation (comprendre qu’on doit fixer un échange, communiquer le besoin et le planifier, le réaliser sans structure déjà définie, etc.).
2. Gérer ses interlocuteurs, et s’assurer quelques victoires visibles
Acquérir et garder la confiance de ses interlocuteurs, c’est également une des clefs pour avoir de l’impact, faire évoluer son scope et progresser dans l’organisation.
Pour y arriver, ne négligez pas les victoires visibles, qui diffèrent en fonction de l’interlocuteur.
En caricaturant ce que chaque interlocuteur attend d’un bon sales ops :
- Le leadership attend de vous que vous lui donniez de la visibilité sur l’activité sales (= faire de beaux dashboards avec les indicateurs clefs et les rendre accessibles)
- Le sales management attend de vous que vous preniez l’ownership et la formation des process techniques, (parfois laborieux) indirectement lié à la vente (= gérer la mise en place du billing, de la leadgen, du tiering…)
- Les sales et les business users attendent que vous leur fassiez gagner du temps dans leur usage du CRM et des outils, et que vous assuriez le support lorsqu’il rencontrent un problème (= faire du support, de l’observation et des démos, optimiser les interfaces, ajouter des boutons utiles pour gagner du temps…)
À l’inverse :
- Négligez le leadership (COMEX), et oubliez votre évolution : vous n’aurez jamais le headcount en plus, ni la promotion que vous demandez depuis 2 trimestres.
- Négligez le sales management, et oubliez l’efficacité et l’adoption de vos process par les équipes
- Négligez les sales users, et oubliez d’avoir de l’impact : sans le savoir vous allez passer à côté des vrais problèmes, et vous épuisez sur des process déconnectés du terrain
3. Formaliser ses process et ses projets
Conseil assez généraliste (et qui pourrait constituer un article à lui tout seul), mais ne pas négliger l’importance de consigner les notes relatives aux tâches et projets réalisés. Notamment lorsque ceci implique plusieurs interlocuteurs ou constitue une part non négligeable de ce que vous avez réalisé dans la semaine. Idéalement avec un système pour hiérarchiser entre les niveaux de “projets” Stream / Epic / Task comme on l’a fait chez sunday.
Toutes ces notes peuvent parfois paraître inutiles, mais on néglige le temps qu’elles feront gagner sur le moyen termes quand il faudra onboarder une nouvelle personne sur un sujet, se souvenir des logiques d’un process, ou simplement faire un récapitulatif des succès du trimestre.
Un exemple de fiche Notion pour notre suivi de projet
4. Rester flexible
N’ayez pas peur de déprioriser et sortir totalement des projets ou des objectifs de votre feuille de route s’ils ne font plus sens pour l’organisation. Rien de pire que de rester focalisé sur ses propres objectifs justes parce qu’on veut être bon élève si cela n’est plus aligné avec les objectifs de l’organisation. Le biais des coûts irrécupérables est probablement l’un des plus traîtres et des plus répandus dans les organisations.
Le mantra du RevOps
- Le RevOps, c’est celui ou celle qui optimise le funnel client et les lignes métiers Marketing, Sales et Customer Success.
- La roadmap, c’est un exercice de prise de recul qui permet de donner un cap, de présenter une vision de l’impact qu’on veut avoir sur l’organisation.
- La maîtrise technique, c’est un must-have évident pour une équipe ops, notamment dans la rigueur et les process…
- …mais la capacité à bien communiquer et s’aligner avec ses parties prenantes, c’est ça qui l’a fait vraiment décoller !
- Personne ne respecte parfaitement sa roadmap, et c’est tant mieux, restez flexible avant tout…