Cet article est la traduction d’une série en 3 parties initialement parue en anglais. Cette série dévoile la clarification du rôle du Product Manager au sein de la Scale-up ManoMano. Elle a été soutenue par les équipes Produit et Business à tous les niveaux de la hiérarchie jusqu’aux CEOs.
Le dilemme du Product Manager
J’ai toujours trouvé que le rôle de Product Manager n’était pas clair, et cela m’embêtait. Je travaille dans le Produit depuis plus de huit ans, aux côtés de mentors remarquables dans des entreprises réputées pour leurs pratiques Produit. Et pourtant, jusqu’à récemment, je n’arrivais pas à expliquer mon rôle en quelques mots. Cela me rendait fou : comment pouvais-je espérer être fort en Product Management si je n’en comprenais pas les règles du jeu ?
Le Product Management existe depuis longtemps, mais la manière de l’exercer a considérablement évolué avec l’ère du digital. Les entreprises tech ont façonné ce rôle en adoptant une nouvelle vision de l’entreprise : de sa structure, de son leadership et de ses méthodes. Cela s’explique par les spécificités au cœur de l’industrie digitale et l’émergence de nouveaux courants de pensée en parallèle :
- Une scalabilité sans précédent : les économies d’échelle sont très fortes dans le digital, et les frontières pour conquérir le monde sont plus basses. Dans ce contexte, de nombreuses entreprises ont d’abord cherché à croître leur nombre d’utilisateurs et, soutenues par des fonds de capital-risque, ont pu s’occuper de la monétisation plus tard. Une fois qu’elles avaient obtenu une part massive du marché.
- Une vitesse d’itération sans précédent : Comme le dit Remi Guyot, “le digital permet d’avoir une boucle extrêmement courte entre la conception d’un produit, sa distribution auprès de la cible visée et la mesure de son adoption. Cette boucle, ultra-rapide, permet de corriger d’éventuels écueils tellement vite qu’il est préférable de lancer quelque chose d’imparfait – et le corriger ensuite si besoin – plutôt que d’essayer d’anticiper ce qu’il va se passer”. C’est sur cette base que est construit le Lean et l’Agile.
- Un suivi sans précédent : chaque action laisse une trace, ce qui permet aux entreprises techs de comprendre le comportement des utilisateurs comme jamais auparavant, d’affiner l’expérience à un niveau extrême, de rationaliser la prise de décision et de piloter les équipes avec des objectifs mesurables.
- Parallèlement, de nouvelles écoles de pensée ont vu le jour : comme le Design Thinking pour faciliter l’innovation et la collaboration, ou les modèles d’organisations décentralisées pour améliorer l’efficacité et la motivation des équipes.
En tant que Product Manager, je me sentais responsable de l’application et de l’éducation de ces principes et des pratiques qui en découlaient. Ces changements étaient si massifs qu’ils créaient une rupture dans la manière de travailler. La communauté Produit était la plus consciente de ces changements et de ce qu’ils impliquaient, c’est pourquoi j’imagine que l’on a parlé de “culture Produit” plutôt que de “culture digitale”. Parmi ces pratiques, il y avait celle de placer les utilisateurs en premier ou de ne pas s’engager sur des délais trop en avance.
Mais je voyais ces pratiques souvent entrer en contradiction avec les besoins réels de l’entreprise. Dans mon expérience précédente, nous fournissions un SaaS pour les employés des grandes entreprises. Les administrateurs n’étaient pas à l’aise avec notre façon de procéder par petites itérations et ajustements, car ils devaient à chaque fois mettre à jour leurs programmes de formation ainsi que leur documentation. Il était difficile de savoir quand il fallait s’adapter ou insister. En étant trop souple, je risquais de passer à côté de ces nouvelles façons de faire plus efficaces, mais en étant trop rigide, je risquais de prendre des décisions inadaptées au contexte de l’entreprise.
Appliquer la démarche produit à la clarification de mon rôle
J’avais besoin d’une mission indiscutable pour guider mes efforts. Le piège de se sentir responsable de la mise en œuvre de ces bonnes pratiques était de les considérer comme une finalité. D’accorder plus d’importance à l’application de ces principes qu’à l’obtention de l’impact attendu – alors qu’ils n’étaient qu’une boîte à outils pour m’aider à obtenir cet impact. Il existe des définitions célèbres de la mission du Product Manager, comme “Découvrir un produit qui a de la valeur, qui est utilisable et qui est faisable” (Marty Cagan), ou en d’autres termes, être “l’intersection entre le business, la technologie et l’expérience utilisateur” (Martin Eriksson). Mais je les trouvais trop vagues pour m’aider à définir un cap dans des situations réelles.
J’avais besoin d’une compréhension approfondie des principes clés pour faire les bons arbitrages. En plongeant dans la littérature Produit, je me sentais un peu dépassé par tous les principes à suivre. Je ne doute pas que le Product Manager idéal peut les comprendre parfaitement, mais si je devais me concentrer sur quelques principes, lesquels seraient-ils ? Ceux-là, je devais les maîtriser sur le bout des doigts pour pouvoir convaincre mes interlocuteurs, au contraire, les abandonner face à un besoin plus important. Une fois tous ces principes fondamentaux maîtrisés, je pourrais alors me concentrer sur l’apprentissage de principes plus sophistiqués.
En somme, il s’agissait d’appliquer à moi-même la méthodologie que je défendais pour mes sujets Produit. J’ai souvent répété que je ne voulais pas d’injonctions sur ce qu’il fallait faire mais des objectifs clairs à atteindre pour que l’on puisse trouver les meilleures solutions. Ici, ce serait la même chose : clarifier ma mission et trouver la meilleure approche pour l’atteindre, aidé par un ensemble de bonnes pratiques.
ManoMano comme catalyseur
En février 2021, j’ai rejoint ManoMano, une licorne européenne avec une forte tradition de culture Produit, pour renforcer mes compétences. ManoMano a été l’une des premières startups en France à prendre le rôle du Produit au sérieux et est encore régulièrement citée comme l’une des meilleures entreprises pour faire du Produit en France.
En septembre 2021, j’ai compris que les problèmes que je rencontrais se produisaient également ici. Après des années avec une voix forte sur le Produit, les équipes business se sont plaintes que nous étions devenus trop rigides, pas assez à l’écoute de leurs besoins. Que nous nous accrochions à des principes qu’elles jugeaient injustifiés. Comme l’entreprise était en train de se réorganiser après une levée de fonds massive, elle en a profité pour rééquilibrer les relations. Mais c’était maintenant au tour des Product Managers d’avoir l’impression qu’ils n’étaient plus en mesure d’appliquer les pratiques Produit “selon les règles de l’art”.
C’était l’environnement idéal pour aboutir à la clarification du rôle. D’un côté, il y avait des responsables Produit que j’admirais et qui trouvaient que nous nous éloignions des meilleures pratiques. Et de l’autre, une entreprise pragmatique qui avait mis en œuvre ces pratiques pendant des années, mais qui s’en éloignait en partie. Je voulais comprendre ce qui dans ces changements, selon les dirigeants Produit, nuisait concrètement à l’intérêt de ManoMano. Ou s’il y avait quelque chose que nous, côté Produit, avions mal compris à propos de notre rôle.
J’ai commencé mon enquête avec la même méthodologie que pour un problème Produit. J’ai interrogé les dirigeants que je connaissais et que je respectais profondément pour me forger mes propres convictions. J’ai également contacté des membres influents de la communauté Produit comme Remi Guyot (BlaBlaCar), Amandine Durr (Back Market), Pierre Fournier (Will), Martin Boutges (Doctolib), ou encore Michel Ferry (Payfit) pour obtenir une perspective plus large et tester mes raisonnements au fil de mes avancées.
C’est progressivement devenu un projet d’envergure soutenu par ma hiérarchie. La magie de ManoMano, c’est un environnement qui a su transformer cette initiative isolée en un alignement à l’échelle de l’entreprise. Le VP Product m’a encouragé à pousser le processus jusqu’au bout. Obtenir une vue d’ensemble de l’entreprise, partager les conclusions et rechercher un nouvel alignement sur notre rôle. On m’a donné un accès total. J’ai interviewé plus de 60 personnes, la moitié provenant des équipes Produit et l’autre moitié des équipes business. L’objectif était de faire converger nos visions, à un moment où nous cherchions à renforcer la collaboration. À notre grande surprise, nos différences étaient superficielles. Au fond, nos positions étaient très alignées.
Un projet d’un an qui a débouché sur une clarification en trois parties. Je suis très heureux de vous révéler les conclusions qui ont été adoptées chez ManoMano. Il y en a 3 : les idées erronées quant à notre rôle (partie 1), la mission et les principes fondamentaux (partie 2), et un chemin facile pour améliorer les pratiques Produit au sein des équipes (partie 3).
Une vision pragmatique. Ce qui suit n’est pas une vision idéalisée de ce que devrait être le Produit selon les équipes Produit. Il s’agit d’un guide pratique sur lequel nous nous sommes alignés chez ManoMano pour avoir le plus grand impact là où l’entreprise a besoin de nous. Les conclusions présentées ci-dessous ont été soutenues par les équipes Produit et Business à tous les niveaux de la hiérarchie, jusqu’aux PDG. Elles devraient être utiles à tous ceux qui cherchent à mieux comprendre le rôle du Product Manager, pour mieux l’exercer ou avoir de meilleures interactions avec eux.
Partie 1 : Les 5 principaux mythes qui vous empêchent de progresser en tant que PM
“La partie la plus difficile n’est pas de gravir la montagne, mais de descendre celle sur laquelle vous vous trouvez actuellement” (Naval). En cherchant à clarifier le rôle, j’ai rencontré des croyances erronées qui obscurcissaient notre jugement. Parmi elles, une confusion entre ce qui peut sembler le plus satisfaisant en tant que Product Manager – comme l’innovation – et ce dont l’entreprise a réellement besoin. Ou entre nos convictions – comme miser sur un focus utilisateur pour atteindre les objectifs business – et la stratégie de la direction pour gérer une entreprise.
MYTHE N° 1 : “Le Product Management, c’est être user centric”
Ce n’est pas notre rôle. Les designers représentent les besoins des utilisateurs ; les business owners représentent les objectifs du business. Nous représentons l’intérêt de l’entreprise, c’est-à-dire la recherche d’une adéquation entre les besoins des utilisateurs et les objectifs du business. Que nous commencions par les objectifs du business ou par les besoins des utilisateurs, nous devons en fin de compte tenir compte des deux dimensions. Commencer par l’utilisateur peut s’avérer la bonne option car c’est souvent là que le risque est le plus élevé et que ça permet d’adopter une approche plus long terme. Mais ce n’est pas un dogme. Aucune de ces dimensions n’est fondamentalement plus centrale que l’autre. L’équilibre entre les deux est très propre aux fondateurs de l’entreprise, et la vraie question est peut-être de savoir si vous vous sentez à l’aise avec cet équilibre.
Exemple concret : Chez ManoMano, nous avons travaillé sur des recommandations de produits complémentaires pour aider les utilisateurs à acheter des produits auxquels ils n’auraient peut-être pas pensé. Cette fonctionnalité s’est avérée utile, en particulier dans le secteur du bricolage, où tous les utilisateurs n’ont pas les connaissances techniques nécessaires. Cependant, dans ce cas précis, nous avons sauté sur l’occasion parce que c’était la meilleure opportunité de rentabiliser notre entreprise, et non parce que c’était la meilleure opportunité d’améliorer la vie des utilisateurs.
-> Le Product Management, c’est trouver un équilibre entre les besoins des utilisateurs et les objectifs business en fonction de la situation de l’entreprise.
MYTHE N°2 : “Le Product Management, c’est de l’innovation”
L’innovation consiste à introduire quelque chose de nouveau, ce qui est souvent long et incertain. Nous devons choisir nos batailles et concentrer nos efforts d’innovation là où nous voulons nous différencier. La meilleure stratégie pour les autres parties du produit peut consister à copier vite et bien, sans rien introduire de nouveau sur le marché.
Exemple concret : Est-il plus malin, à notre stade, de 1) passer du temps à réinventer l’expérience de paiement ou 2) copier les meilleures pratiques et investir le temps gagné à trouver comment vendre des produits techniques en ligne ?
-> Le Product Management, c’est savoir où placer les efforts d’innovation.
MYTHE N° 3 : “Le Product Management, c’est du long terme”
Une partie de notre rôle consiste à élaborer une vision pour l’entreprise et déterminer comment y parvenir. Mais nous devons avoir un impact là où notre entreprise en a besoin. Si la réalisation d’objectifs à court terme est une contrainte essentielle pour la santé de l’entreprise – comme devenir rentable dans un contexte où il est difficile de lever des fonds – nous devons s’y dévouer pleinement.
Exemple concret : Chez ManoMano, nous rêvons tous d’une expérience qui permettrait à nos clients d’engager un artisan jusqu’à acheter tous les matériaux et outils nécessaires pour effectuer n’importe quel travail à domicile. Mais dans un contexte de rentabilité, travailler sur la suggestion de produits complémentaires qui très rentables est une plus grande priorité.
-> Le Product Management, c’est équilibrer le court, le moyen et le long terme en fonction de la situation de l’entreprise.
MYTHE N°4 : “Le Product Management, c’est prendre toutes les décisions”
Ce serait terrible ! En fin de compte, nous sommes responsables du produit final, mais le Product Manager n’est ni celui qui doit tout savoir ni celui qui doit prendre toutes les décisions. Notre rôle est plutôt de veiller à ce que les meilleures décisions soient prises, en orchestrant une équipe d’experts, chacun ayant une pièce du puzzle (design, tech, business, data).
Exemple concret : Supposons que je sois d’accord avec le designer sur le contexte et les objectifs d’une fonctionnalité, mais que nous ayons des points de vue différents sur son graphisme. Si nous ne parvenons pas à un consensus, je suivrai son jugement car il a beaucoup plus d’expérience que moi dans ce domaine.
-> Le Product Management, c’est s’assurer que les meilleures décisions sont prises.
MYTHE N° 5 : “Le Product Management, c’est l’absence d’engagements”
Dans une entreprise de 1 000 personnes, il est inévitable que les équipes deviennent interdépendantes. La phase “Discovery” est en effet incertaine, mais tous les sujets n’ont pas le même niveau d’incertitude, et une partie importante de cette incertitude peut être traitée avant le début des roadmaps. A minima, nous devrions clarifier notre plan de route et essayer de le diviser en petits morceaux pour éviter l’effet sous-marin et l’absence totale de visibilité. Ce n’est même pas une perte de temps, car cela permet d’éviter les frictions futures.
Un exemple concret : Une solution que nous avons mise en œuvre chez ManoMano est d’avoir 3 mois d’avance de “Discovery” quand nous arrivons à nos roadmaps trimestrielles, de laisser une certaine marge pour itérer sur les sujets risqués, et lorsque ce n’est pas suffisant, nous pouvons remodeler le plan, à condition d’en discuter avec les équipes concernées.
-> Le Product Management, c’est donner autant de visibilité que possible.
Conclusion sur les mythes
Ces mythes ne sont pas morts pour autant chez ManoMano. Ils sont profondément ancrés. Maintenant que nous avons l’alignement, nous devons diffuser ces raisonnements au sein de l’entreprise pour obtenir un changement réel, et cet article est un moyen de le faire.
Partie 2 : La mission et les bonnes pratiques
Mission du PM = Mener les évolutions du produit vers les objectifs de l’entreprise
Notre mission est assez banale, c’est la même que celle de tout chef de produit. Ce qui est original dans le contexte de la tech, c’est la manière de l’atteindre. Toutefois, il est essentiel de garder cette mission à l’esprit car c’est le cadre qui légitime toutes les bonnes pratiques. La mission est le pourquoi ; les bonnes pratiques sont le comment.
Limitons-nous à un nombre restreint de bonnes pratiques. L’objectif n’est pas de dire tout ce qu’un PM devrait faire. Il existe déjà une abondante littérature sur le sujet. C’est d’extraire les plus importantes qui garantissent des bases solides. Pour la même raison, j’ai limité les pratiques spécifiques à notre rôle. Par exemple, la priorisation est essentielle pour un PM, mais de même que pour n’importe quel poste. Ces bonnes pratiques reposent sur les principes coeur du digital que nous avons vu en 1ere partie : la scalabilité, la vitesse d’itération, la mesure et la collaboration.
1. Mener : être responsable ne veut pas dire décider seul
Un leader qui a le pouvoir de prendre les décisions seules peut facilement finir par agir de manière unilatérale, et ne plus s’appuyer sur l’expertise des autres. À l’inverse, lorsque la responsabilité est partagée, le risque est que plus personne ne se sente responsable. Et s’il existait un moyen de concilier responsabilité et collaboration ?
La responsabilité de faire avancer l’équipe dans la bonne direction
On attend du PM qu’il s’approprie son périmètre : rallier tout le monde à une vision commune, prioriser les sujets et veiller à ce que les fonctionnalités arrivent dans les délais avec la qualité requise. Même si le rôle du PM n’est pas de prendre toutes les décisions, il doit s’assurer que ces décisions sont prises par les bonnes personnes et qu’elles disposent de tout le contexte nécessaire pour les prendre.
De manière collaborative afin de profiter de l’expertise de chacun
Pour un acteur exclusivement digital comme ManoMano, le produit matérialise la valeur de l’entreprise. Naturellement, certains départements veulent et doivent avoir leur mot à dire dans le processus de décision. Lorsque les PM chez ManoMano ont eu le pouvoir ultime de décision, nous avons constaté qu’ils ne tenaient plus suffisamment compte des considérations business. Cette situation a donné lieu à un débat sur la question de savoir qui, du PM ou de ses business owners, devrait avoir l’autorité ultime pour prendre les décisions. Et si personne ne l’avait ? Et s’il fallait trouver un alignement avec le business owner, le designer et le tech lead ? La force de n’avoir personne avec un pouvoir de décision ultime est de forcer tout le monde à mieux s’écouter et à avoir des raisonnements plus solides. Le PM peut diriger en convaincant, pas en imposant. Ce qui nécessite qu’il améliore sa capacité d’analyse et de compréhension afin d’embarquer tout le monde. Si un alignement ne peut être atteint malgré tout, c’est probablement que le sujet mérite d’être arbitré plus haut.
Outils et ressources : Communication non violente, Design Thinking
2. Les évolution du produit : les pratiques pour maximiser la réussite des fonctionnalités
Les ressources de développement sont chères et rares, d’où l’obsession de perdre le moins de temps possible, représentée par les philosophies du Lean et de l’Agile. Il en découle une approche progressive et itérative qui nécessite des équipes responsabilisées pour la mettre en place.
Affronter les risques dès le départ et tout au long du processus
L’une des grandes craintes de tout PM est de passer du temps à développer une fonctionnalité qui n’apporte aucune valeur à l’entreprise. Cela peut être dû à un manque de viabilité financière, mais la plupart du temps, c’est parce que personne n’en veut. C’est pourquoi nous essayons d’obtenir cette validation client le plus tôt possible, bien avant de lancer quoi que ce soit. Ensuite, lorsque nous commençons les développements, nous essayons d’apporter de la valeur petit à petit, afin d’observer la réaction des utilisateurs et d’ajuster la trajectoire. Tout l’inverse d’un grand plan prévu longtemps à l’avance avec un déploiement massif d’un coup. Cette approche est particulièrement pertinente pour les sujets innovants, pour lesquels il est difficile d’anticiper les réactions des utilisateurs. Tester, apprendre et ajuster en cycles courts est le moyen le plus sûr et le plus rapide de viser juste.
Avec une équipe habilitée à résoudre le problème par elle-même
Une telle méthode implique des équipes qui ne suivent pas les ordres d’un échelon supérieur de la hiérarchie, mais qui sont habilitées à résoudre le problème par elles-mêmes. C’est la seule façon d’obtenir la vélocité nécessaire. Comme nous l’avons vu, l’équipe a besoin de tester, d’apprendre et d’itérer rapidement. Elle est beaucoup plus lente si elle doit convaincre des interlocuteurs externes lors de tout changement de cap. L’un des grands avantages de ces équipes responsabilisées est la motivation : comment les équipes peuvent-elles se sentir motivées lorsqu’on leur impose des projets sur lesquels travailler ? Néanmoins, cette situation ne devrait pas être considérée comme la situation par défaut, mais comme la situation cible. C’est normal que les supérieurs hiérarchiques souhaitent s’immiscer dans le processus tant que l’équipe n’a pas fait ses preuves.
Outils et ressources : Lean Startup, Reinventing Organizations, Empowered
3. Vers les objectifs de l’entreprise : Trouver le bon équilibre entre les utilisateurs et les finances
Le PM est un employé de l’entreprise ; en tant que tel, il doit orienter son action vers les objectifs de l’entreprise. Il s’agit d’un mélange entre servir les utilisateurs et les finances, avec un équilibre aligné sur la stratégie du top management.
Satisfaire les utilisateurs
Dans le digital, les économies d’échelle sont colossales et les barrières à la conquête du monde sont moindres. C’est pourquoi l’accent est mis sur la satisfaction des utilisateurs : il s’agit de conquérir le marché avant les autres pour obtenir une énorme base d’utilisateurs qui permette de construire un modèle de monétisation plus ambitieux. C’est aussi un moyen de motiver les employés à faire prospérer l’entreprise.
Satisfaire les finances
Ce point peut sembler évident, mais il a peut-être été relégué au second plan avec les années d’argent illimité sur le marchés de financement. L’objectif d’une entreprise est de devenir rentable, il est donc inévitable qu’à un moment donné, l’entreprise cherche à faire des bénéfices. Nous devons en comprendre les mécanismes, aussi bien que nous comprenons nos utilisateurs.
Conduire le changement par la mesure
Dans le digital, toute action peut être traquée et toute fonctionnalité A/B testée, ce qui nous permet de mesurer notre impact avec une grande précision. C’est cette capacité de mesure qui permet de définir une “North Star metric” qui guidera l’équipe et l’aidera à prendre les meilleures décisions.
Outils et ressources : OKR, arbres des opportunités, modèle DHM de Gibson Middle
Conclusion sur la mission et bonnes pratiques
La collaboration est le fil conducteur du Product Manager dans la mise en place de ces bonnes pratiques. Une phrase célèbre en politique est qu’aucune taxe, aussi justifiée soit-elle, ne mérite de mettre en danger la paix sociale. La collaboration est au cœur de notre rôle, car nous sommes à l’intersection de la technologie, du design et du business. Lorsque nous essayons d’améliorer les pratiques Produit, nous devons le faire en préservant la coopération avec le même soin que les politiciens préservent la paix sociale. Nous allons voir comment le faire avec le framework PULSE.
Partie 3 : Le Framework P.U.L.S.E
La situation de départ d’un PM peut être frustrante. Voire décourageante. Confronté à des stakeholders qui ne comprennent pas toujours son rôle. Dans le pire des cas, qui croient que nous sommes là pour exécuter ce qu’ils pensent être de bonnes idées. C’est pourquoi j’ai imaginé ce parcours en 5 étapes, qui part de la pire des situations, submergé par les demandes express de fonctionnalités, pour gravir progressivement les échelons. Selon la terminologie de Marty Cagan, il s’agit de passer d’une “Delivery Team” à une “Feature Team”, et enfin à une “Product Team”.
Une voie tout en douceur. Lorsque j’ai intégré ManoMano, on m’a demandé de créer la vision de mon périmètre pour que l’opérationnel suive logiquement. J’adorais cette approche. Mais le travail de vision prenait du temps, et pendant ce temps je ne dépilais pas autant que l’équipe espérait. Et sans une compréhension approfondie de ce périmètre, la vision s’est rapidement avérée inutilisable. J’ai découvert ensuite qu’apporter de la valeur et créer la confiance le plus rapidement possible, et progressivement ajouter les autres facettes du PM, était un moyen facile de faire grandir l’équipe dans ses pratiques Produit.
Une voie validée chez ManoMano à l’échelle de l’entreprise. Comme pour les précédentes parties, ces conclusions ont été soutenues par les équipes Produit et Business à tous les niveaux de la hiérarchie, jusqu’aux PDG. J’ai conservé les citations de nos business owners pour montrer comment leurs attentes convergeaient avec les nôtres.
Présentons le cadre P.U.L.S.E.. Il s’agit à la fois d’un chemin pour améliorer les pratiques Produit et d’un outil pour évaluer la maturité de chaque équipe. “P.U.L.S.E” sont les premières lettres de chaque mot pour faciliter la mémorisation et souligner que, comme en musique, la collaboration est au cœur de notre rôle et de sa mise en place.
1. PASS : Passer les idées du Business à la Tech
Lorsque vous arrivez dans une nouvelle équipe, c’est souvent le rush. L’équipe attend un PM depuis des mois et vous êtes rapidement submergé par une pile d’idées qui n’attendent que d’être implémentées. Réussir la partie “delivery” est un moyen facile de renforcer la confiance et de rétablir une certaine fluidité. Bien sûr, s’en tenir à cette phase serait frustrant, cela reviendrait à faire le travail d’un chef de projet plutôt que celui d’un Product Managaer. Ou, pour reprendre les termes de Cagan, être une “Delivery Team”.
Être le pont entre le business et la tech : En d’autres termes, donner vie aux idées du business en les traduisant aux équipes tech. Prenez le temps d’expliquer l’ensemble du contexte et des objectifs aux ingénieurs afin qu’ils se sentent concernés et motivés, réduisant aussi les risques de malentendus.
💼 Feedback d’un business owner : ” Je ne parle pas le même langage que les techs et les designers “.
Garantir la qualité et les délais : Avec la coresponsabilité du Lead Engineer, assurez-vous que les fonctionnalités n’ont pas de bugs et arrivent à temps. Cela inclut la gestion des dépendances avec les autres équipes.
💼 Feedback d’un business owner : “J’ai besoin de quelqu’un qui soit responsable de livrer la fonctionnalité que j’attends dans les temps“.
Assurer le suivi post-lancement de la fonctionnalité : Le travail ne s’arrête pas au lancement de la fonctionnalité. Mesurez les résultats et décidez ce qu’il faut faire : la retirer, itérer jusqu’à ce que l’impact espéré soit atteint, ou s’arrêter là.
💼 Feedback d’un business owner : “Je n’ai aucune idée si la fonctionnalité a été utilisée et si nous pouvons la considérer comme un succès“.
Outils et ressources : Méthode agile
2. UNCOVER : Découvrir les solutions qui répondent aux besoins du Business
Maintenant que l’équipe est en mesure de délivrer les solutions attendues, la question qui se pose est la suivante : construisons-nous les solutions les plus pertinentes compte tenu du besoin du business ? Il s’agit là d’une grande partie de ce que nous appelons la “Discovery”. Dans la terminologie de Cagan, il s’agirait de devenir une “Feature Team”.
Aider les équipes business à formuler leurs besoins fondamentaux : Lorsque vous recevez une demande exprimée sous la forme d’une solution, essayez de comprendre le besoin sous-jacent.
💼 “Je donne des solutions, souvent sales, uniquement pour lancer la conversation, pas pour dire ce qu’il faut faire.”
Apporter de nouvelles idées : Complétez avec des idées issues de benchmarks et d’idéation interne avec tous les membres de l’équipe (tech, design, business, …). Les outils de design thinking peuvent être utiles pour faciliter la collaboration. L’erreur est de croire que seul le produit peut proposer des solutions.
💼 “Il est difficile de faire confiance à votre capacité à trouver les meilleures solutions si vous ne connaissez même pas les normes du marché.”
Veiller à la pertinence et à la cohérence : Testez vos idées auprès des utilisateurs pour limiter le risque de créer une fonctionnalité que personne n’utiliserait. Enfin, la solution doit être cohérente avec le reste du produit.
💼 “Votre vision à 360° vous permet de trouver des solutions plus adéquates et plus cohérentes que celles auxquelles j’ai pu penser.”
Outils et ressources : Discipline de la découverte
3. LINE-UP : Prioriser les besoins les plus importants
L’équipe est désormais en mesure d’apporter des solutions pertinentes aux besoins du business. Le prochain palier est le suivant : travaillons-nous sur les besoins les plus importants ? À ce stade, vous commencerez à devenir ce que Marty Cagan appelle une “Product Team”.
Recueillir tous les objectifs et contraintes : Assurez-vous que tout le monde a pu s’exprimer avant de suggérer toute priorisation. Dans le cas contraire, la légitimité de votre roadmap sera contestée à juste titre.
💼 “Comment puis-je faire confiance à votre priorisation si vous n’avez pas recueilli tous mes besoins ?”
Afficher la vue d’ensemble : Aidez toutes les personnes impliquées à saisir le contexte global grâce à une représentation d’ensemble facile à lire. L’arbre des opportunités est un outil classique pour cette étape.
💼”Vous pouvez prendre du recul là où le rythme de l’activité me rend la tâche très difficile.”
S’aligner sur l’ordre des priorités : Votre rôle est de faciliter la prise de décision, que l’équipe élargie soit alignée sur la roadmap finale. Pour rationaliser les discussions, cela peut grandement aider d’avoir un KPI clair qui représente l’impact que cherche à atteindre l’équipe et une évaluation de chacun des projets vis à vis de ce KPI.
💼 “Vous êtes les responsables naturels de la priorisation, car vous avez la vision du coût et de l’impact.”
Outils et ressources : Arbres de solutions d’opportunités, RICE
4. SUPPLEMENT : Enrichir avec des sujets “user-first”
L’équipe est maintenant capable de délivrer autant de valeur que possible à partir des infos qui circulent en interne. Mais est-ce que nous avons bien toutes les infos ? Il est temps d’enrichir notre arbre d’opportunités avec une compréhension beaucoup plus profonde et plus large de nos utilisateurs.
Comprendre les problèmes des utilisateurs : Creusez toutes les pistes qui vous permettent de comprendre le comportement et les attentes des utilisateurs ; en leur parlant, en analysant leurs actions sur le site, en regardant ce que font les concurrents, etc.
💼 ” J’attends de vous que vous représentiez les clients et que vous soyez un contre-pouvoir à mes objectifs business.”
Connectez-les aux objectifs business : Une fois que vous avez identifié les besoins des utilisateurs, exposez comment leur résolution aiderait l’entreprise à atteindre ses objectifs business.
💼 “Vous pouvez transformer les macro-objectifs de l’entreprise en solutions pour les clients.”
Injectez des indicateurs de satisfaction client dans les objectifs de l’équipe : Pour un équilibre sain, les “North Star Metrics” qui guident vos efforts doivent refléter votre objectif à deux têtes : le business et les utilisateurs.
💼 “La priorisation est principalement basée sur le volume d’affaires. Ne devrait-elle pas inclure davantage le NPS ?”
Outils et ressources : Habitudes de découverte continue
5. ENVISION : Se projeter plus loin qu’au trimestre
L’équipe peut désormais saisir et délivrer les opportunités les plus importantes. Mais tant que nous restons sur un horizon de temps trimestriel, il est compliqué d’être ambitieux. De plus, anticipons-nous les évolutions du marché et créons-nous un avantage à long terme pour notre entreprise ? Avec notre forte compréhension du périmètre, nous pouvons indiquer avec confiance une direction ambitieuse qui va au-delà du trimestre.
Construire une vision ambitieuse et partagée : Aborder les principaux défis de l’entreprise dans une perspective de plusieurs années donne des résultats différents que de les aborder trimestre après trimestre. Vous pouvez rechercher des projets plus ambitieux, qui porteront leurs fruits plus tard.
💼”J’attends de vous que vous ralliiez toutes les parties prenantes, dont les besoins peuvent être divergents, derrière une vision commune.”
Équilibrer les actions stratégiques et tactiques : Une fois que vous avez la vision à long terme, vous pouvez l’intégrer dans vos roadmaps trimestrielles. Essayez toujours d’atteindre les objectifs court terme, en équilibrant avec des projets tactiques et en décomposant les projets long terme en plus petits morceaux qui apportent de la valeur progressivement.
💼 “Les discussions sont très tactiques. Il est difficile d’avoir une vision à +6 mois sur l’évolution du produit.”
Outils et ressources : De la vision aux valeurs
Récapitulatif de PULSE
Au fur et à mesure que nous gravissons les marches de PULSE, nous sommes capables de délivrer de la valeur avec une perspective de plus en plus large.
- Pass = Livrer les meilleures fonctionnalités par rapport à une solution attendue.
- Undercover = Livrer les meilleures fonctionnalités par rapport à un besoin donné.
- Line-Up = Livrer les meilleures fonctionnalités par rapport à toutes les opportunitées sourcées en interne.
- Supplement = Livrer les meilleures fonctionnalités par rapport à toutes les opportunités possibles.
- Envision = Livrer les meilleures fonctionnalités avec une ambition plus long-termiste.
Conclusion
Quelles sont les prochaines étapes de cette clarification chez ManoMano ? Maintenant que nous avons l’alignement sur le rôle du Product Manager, de ses blocages, de ses principales missions, et de comment les mettre en place, il s’agit maintenant d’activer le changement. Cela signifie pour nous l’intégrer au plus profond de nos rituels de manière ludique, de sorte qu’il devienne naturel et plaisant d’améliorer ses pratiques Produit. De manière très pragmatique, il pourrait être utilisé pour évaluer la maturité des équipes Produit, donner des objectifs de performance, ou encore rédiger les plans de carrière.
Et vous comment comptez-vous vous en servir ?
Ces conclusions sont le fruit d’une collaboration impliquant plus de 70 personnes. Merci pour vos précieux conseils qui ont nourri ce projet ! Si vous avez des remarques, n’hésitez pas à les partager. Je suis curieux de savoir si ces conclusions s’appliquent à votre contexte et ce qui pourrait en différer.