On pense souvent en pratique qu’il est assez facile de distinguer une start-up d’une PME en croissance ; cependant quand il s’agit de rationaliser cette distinction, l’exercice devient plus complexe et certains tombent vite dans des clichés grotesques… La table de ping-pong, le baby-foot, les pulls à capuches ou encore une moyenne d’âge de 26 ans. D’autres avanceront la dimension tech, qui n’est cependant pas un élément discriminant au regard des nombreuses start-ups qui se lancent dans des secteurs non-technologiques comme le prêt-à-porter.
Mais alors qu’est-ce qui différencie une start-up d’une PME en croissance ? Un des éléments de réponse tient à la culture : pas celle d’étudiants d’école de commerce ayant du mal à passer un cap professionnel, mais une culture fédératrice, faite de valeurs, de rituels, de références, permettant à ces entreprises de scaler et absorber une croissance forte, tout en conservant un certain cap et une certaine cohésion.
Et en complément de cet article, n’hésitez pas à faire un tour sur l’épisode du podcast du média Tribes durant lequel Hugo Perrier, DRH de Partoo, explique l’importance du Culture Book :
1. Les rituels en start-up, la matérialisation de valeurs fondatrices
Personne n’a attendu l’avènement des start-ups pour définir les valeurs de son entreprise : ainsi les grandes valeurs de toutes les sociétés du CAC 40 – je ne parle pas ici de valeurs boursières – sont (facilement) trouvables sur internet !
Cependant, ces préoccupations sont particulièrement importantes lorsque la croissance vous pousse à multiplier vos effectifs par deux chaque année. En effet, écrire des valeurs sur son site internet ne garantit pas leur pérennité, d’autant plus quand la majorité des collaborateurs a moins de 6 mois dans l’entreprise… Un exemple historique marquant reste celui d’Enron dont les deux première valeurs (le respect et l’intégrité) trouvèrent leur limites en 2001, lors du scandale de fraude qui mena le groupe à sa faillite.
La question des valeurs doit donc directement mener à la question des rituels. Les valeurs de Partoo ont par exemple été définies au tout début de l’aventure : la curiosité, l’empathie et le fun. Sans que cela ne se fasse de manière consciente, des rituels ont émergé des habitudes de groupes et ont ancré les valeurs dans l’attitude générale. La curiosité se retrouve facilement dans les Partoo Academy hebdomadaires, durant lesquelles des collaborateurs ou des personnes extérieures présentent aux équipes leurs retours d’expérience sur des sujets spécifiques. L’empathie se matérialise dans des sessions où les différents pôles découvrent le travail des uns et des autres, tout comme dans les relations entre employés, avec les concurrents, les partenaires et les clients. Enfin, le fun est un état d’esprit quotidien : deux séminaires de 5 jours par an, des évènements team-building (laser game, paintball, escape game, lancer de hâches…), un Secret Santa, des foots en salle le jeudi midi, les Parteuf du vendredi soir, etc. Le mode de communication externe est aussi influencé par les valeurs que ce soit notre slogan relativement osé (« allez-vous faire voir ») ou encore notre ligne éditoriale sur Intercom, largement inspiré de la vision du service client de Captain Train / Trainline (article à lire absolument).
En regardant d’autres start-ups, on trouve des rituels qui sortent vraiment de l’ordinaire ! La vision de ManoMano – révolutionner tant le e-commerce que le bricolage – se matérialise dès l’arrivée des nouvelles recrues qui doivent elles-mêmes monter leur chaise et leur bureau. Chez OpenClassroom, qui nourrit une forte culture du feedback, une statuette de leur mascotte – the OC Trophy – se passe d’un employé à l’autre en remerciement d’un travail particulièrement bien fait.
Au-delà des valeurs, de nombreux rituels favorisent aussi la cohésion des équipes. C’est particulièrement le cas dans des start-ups où le travail en remote est monnaie courante : chez Heetch, les discussions à la machine à café ont ainsi été remplacées par les Remote Coffee Machine durant lesquels les employés en télétravail s’appellent pour discuter de sujets non-professionnels, par exemple débriefer de leur weekend, etc.. Sur un plan plus professionnel on pourra mentionner les retraites d’Alan à Tenerife pour définir la roadmap produit ou le BBQ Test de Payfit qui permet de s’assurer du fit humain des nouvelles recrues. La cohésion passe aussi bien souvent par des terminologies dérivées du nom de l’entreprise : les Sider, les Payfiter, les Jungle parties, les Parteuf…
Les modes de célébration sont enfin des éléments de culture propres à chaque start-up. Si certains privilégient les applaudissements, d’autres fêtent les signatures à coups de Gong (ManoMano), annoncent les recrutements via une musique de célébration dans l’open-space (Theodo), ou ajoutent les photos des évènements marquants à un Celebration Wall (Blablacar). A la différence de certaines grandes entreprises, les start-ups réussissent particulièrement bien à valoriser le travail des individus et des groupes. Ces rituels de célébration permettent finalement de galvaniser les équipes autour d’un projet fédérateur, dans un monde professionnel où les jeunes générations recherchent davantage de sens et de reconnaissance.
2. Le manifeste : un règlement intérieur revisité ?
Si les règlements intérieurs sont obligatoires pour les sociétés françaises de plus de 20 salariés, la rédaction d’un Manifeste est vivement recommandée en start-up. Ce type de document, qu’il soit public ou privé, permet de coucher sur le papier certains préceptes et grandes idées de la vie professionnelle au sein de l’entreprise.
De nombreux Manifestes valent le détour et peuvent être sources d’inspiration sur des sujets comme les recrutements, les horaires, le home office ou encore la prise de poste à responsabilités. C’est notamment le cas de celui de Netflix qui a été lu plus de 18 millions de fois et reprend plusieurs concepts très utiles comme le Keeper Test (slide 25) ou la notion de Talent Density (slide 55). Les Manifestes s’accompagnent parfois de mottos internes qui permettent de mémoriser plus facilement l’état d’esprit général. Au-delà de Facebook (« Move fast and break things ») et de Google (« Don’t be evil »), le Manifeste de Toucan Toco est un très bon exemple de ce type de devises dont on se rappelle très facilement, avec des références culturelles intéressantes : Each one teach one, Write The Fucking Manual Bitch (WTFM), Don’t break the first window, etc.
Enfin certains Manifestes permettent d’aller encore plus loin dans des entreprises avec très peu de hiérarchie. Dans sa conférence « Reinventing Organizations », Frédéric Laloux explique en détails les différents mécanismes qui permettent à de plus en plus d’entreprises de fonctionner sans aucun manager. Dans ces start-ups plus que dans d’autres, il est nécessaire de clarifier toutes les interactions entre employés et les règles de vie commune. Dans cette lignée, le Manifeste publique d’OpenClass Room est extrêmement intéressant car il donne une vision claire sur de sujets souvent controversés comme les salaires, les vacances, l’échec, ou encore la gestion conflits ! Le Manifeste en start-up a aussi un rôle d’intégration de nouvelles jeunes recrues qui ont besoin d’une vision claire du fonctionnement de l’entreprise : la première version du Manifeste de PandaScore a ainsi été rédigé dès le deuxième salarié !
De manière générale, la culture en start-up n’est pas quelque chose de figé. Un Manifeste peut évoluer dans le temps comme le montre l’exemple de BlaBlacar dont le rebranding et le passage à plus de 500 employés s’est accompagné d’un changement des anciennes valeurs au profit de nouveaux BlablaPrinciples ! De manière similaire, en avril 2014, Mark Zuckerberg changeait le fameux motto de Facebook pour adopter une posture plus adaptée au contexte : “Move Fast With Stable Infra.”
3. Des références pour créer un univers commun
Il est difficile de parler de culture start-up sans mentionner les références « culturelles » qui y sont rattachées. Ces « univers » propres à chaque société induisent souvent des rituels spécifiques, des noms de produits particuliers, une certaine décoration des bureaux et même parfois une communication externe décalée !
Tout d’abord certains univers de start-ups se rattachent fortement au produit ou service vendu : c’est par exemple le cas d’Evaneos dont l’univers et la culture d’entreprise se sont construits autour du voyage et de la découverte. De manière similaire on pourra citer Agricool autour de l’agriculture, Monbanquet avec les artisans français ou encore Artsper et l’art contemporain.
Cependant, d’autres start-ups ont construit une culture sur des références sans rapport évident avec leur cœur de métier. C’est le cas de Welcome to the Jungle : partant du constat que le monde professionnel est une jungle dans laquelle il est difficile de se retrouver, WTTJ a décidé de filer la métaphore dans son mode de présentation des entreprises (les « tribus »). De même, dans un article Medium, François de Fitte, le fondateur de PopChef raconte comment ses équipes commerciales ont mis en place une série de badges autour du thème de la banquise : « En dessous de 7 nouveaux clients dans le mois vous avez le badge Pingouin, puis le badge Orque, suivi de Loup Blanc, Requin et finalement Ours Polaire, badge doré et prestigieux ». Chez Partoo, nos outils internes sont largement inspirés d’OSS 117 : Armand et Larmina sont deux outils technologiques utilisés pour générer des Case Study ; Ledentu 1 et Ledentu 2, nos deux principaux serveurs. Dans la même veine, on pourra enfin citer l’exemple de Shift dont la culture s’est construite autour de StarWars : les bureaux ont ainsi été entièrement aménagés sur ce thème, avec notamment de nombreuses figurines des personnages principaux !
De ces références découlent souvent des accessoires et des mascottes comme le gouvernail de Tiller, l’otarie d’Alan, le fantôme de Snapchat, la cravate de Chauffeur Privé ou le cloche de Frichti. Au-delà de renforcer la culture interne, les mascottes permettent de booster la communication, comme en témoignent de nombreux exemples aux Etats-unis. En France, Foxy, la mascotte de la start-up Tilkee a même été déclinée en peluche connectée et proposée directement aux clients !
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La culture en start-up est finalement à la fois un socle identitaire dans le cadre d’une forte croissance, une manière de définir des règles de vie commune et un élément de communication externe. Cependant certains excès amènent rapidement à un paradoxe : une culture trop forte induit souvent une homogénéisation des profils et des mindsets, et donc paradoxalement une mise à l’écart de certains. Tout le challenge est alors de trouver le juste milieu entre cohésion et inclusion…
Et pour aller plus loin n’hésitez pas à écouter cet épisode de Caroline Pailloux sur le sujet :