Dans cet article, je vais vous partager comment j’ai contribué au doublement de l’ARR de Socialbakers. Entre 2016 et 2021, nous sommes passés de 25 à 50M$ annuel et en tant que VP EMEA (60% de l’ARR), cela a été une aventure humaine extraordinaire. Vous allez découvrir comment je suis passé de 3 personnes dans un petit bureau à Paris à 120 personnes réparties dans 6 villes.
J’ai toujours été passionné par le métier de Sales, depuis mes tout débuts en Angleterre où je vendais des pages de pub dans un magazine (que du papier ! zéro data ! 50 calls par jour pour espérer faire un deal dans la journée). J’ai eu le privilège de rejoindre de très belles écoles de vente, comme Microsoft où j’ai passé 4 très belles années, mais ma tasse de thé, c’est surtout les scale-ups avec de grosses ambitions à l’international.
J’ai rejoint Socialbakers en juin 2016 en tant que Senior Director France & Southern Europe, puis j’ai rapidement évolué – on m’a confié le bureau de Londres après quelques mois; puis Dubai, puis l’ouverture de bureaux en Allemagne (…) en 2 ans à peine ! Un vrai roller-coaster professionnel !
Socialbakers avait créé son marché à sa naissance en 2008. Les marques commençaient à investir sur Facebook en masse, sans trop comprendre, avec comme seul KPI, le nombre de fans. Socialbakers et son fondateur, Jan Rezab, ont été les premiers à parler de Taux d’Engagement. C’est pas la taille qui compte : mieux vaut peu de fans très engagés avec la marque, que beaucoup de fans, payés très cher, qui sont venus via un jeu-concours. Aujourd’hui, tout le monde le sait, mais en 2008, c’était assez révolutionnaire, et les marques et agences se sont vite équipées de la plateforme SaaS pour suivre leur KPI et leur data.
Socialbakers étant né dans la petite République Tchèque (10 millions d’habitants), ils sont donc “international-native”; parmi les 50 premiers clients (dont Nestlé), seuls une poignée de sociétés tchèques; et le HQ était à cette image, une vraie tour de babel !
En 2016, à mon arrivée, Socialbakers avait un portefeuille incroyable (de LVMH à Renault en passant par le Crédit Agricole), surtout en France, marché stratégique. Mais ce dernier était sous-exploité par manque de ressources sur le terrain. Dès le début, il a fallu monter des équipes : SDR, AE, AM, Local Marketing… et rapidement, pour couvrir des clients stratégiques dans une quarantaine de pays de la zone EMEA, de Ikea en Suède à Santander en Espagne, de Toyota Saudi Arabia à LIDL en Allemagne.
Enfin, je tiens à préciser que nous étions sur un marché en forte croissance, avec de belles perspectives. La difficulté résidait dans le fait de garder la tête froide – il faut bien considérer qu’avoir une croissance de +30% quand le “marché” est à +40% est une contre-performance.
Warnings sur cet article: une expérience personnelle
- Je suis VP Sales, pas HR, Finance ou Legal. L’ouverture de bureaux à l’étranger réclame évidemment un soutien sans faille de la part de ces collègues experts. Je partage ici mon expérience en tant que manager “Builder”
- Le sujet que j’expose avec humilité ici, c’est celui de l’ouverture de marché, du recrutement, du maintien d’une culture d’entreprise forte dans un contexte d’hypercroissance et d’internationalisation à marche forcée (…) Ce sujet est tellement vaste que chaque partie mériterait des approfondissements, mais je vais essayer de rester succinct.
Pourquoi et quand ouvrir un bureau ?
Dès le début, nous avons découpé la zone 4 EMEA en sous régions: UK & Nordics; France & South Europe; DACH & CEE; Middle-East. Nous considérions qu’à partir d’un certain MRR généré par une sous-région (entre 2 et 4M d’ARR) et qu’à partir de moment où un pays avait la gestion d’un compte stratégique (c’est-à-dire avec un vrai potentiel de land and expand), voire iconique (avec un gros potentiel de marketing, global ou local), alors la nécessité d’ouvrir un bureau s’imposait. Nous regardions également où nos concurrents directs se positionnaient géographiquement.
La demande d’ouvrir un bureau venait bien sûr du terrain et du business, mais le dernier mot revenait aux équipes Légal, HR et Finance. C’est volontairement que je ne traite pas la partie P&L ici.
Une fois le feu vert reçu pour monter une équipe, par quel poste commencer ?
Les deux postes prioritaires sont en général :
- AM/CSM, afin de bien consolider les relations stratégiques des clients qui ont justifié l’ouverture du bureau. Je continue de penser que le Churn est le premier ennemi d’un business SaaS.
- SDR/BDR, afin d’ouvrir les premières portes et de construire le début du pipe en amont de l’arrivée de son binôme AE. On sous-estime souvent le rôle stratégique d’un SDR, surtout en ouverture de marché. Ce ne sont pas de la chair à canon, dans un purgatoire en attendant de devenir des AEs. Ils sont les premiers ambassadeurs sur le nouveau marché, en lien direct avec le marketing.Ils se doivent d’être de super sales : une écoute infaillible pour pouvoir remonter les bonnes infos et la bonne data + une qualité de pitch parfaite, adaptée aux spécificités locales.
Les AEs et les postes de Marketing local viennent après, une fois que ces premiers jalons sont bien posés.
Le Manager local peut être recruté assez tôt si la nouvelle région / le bureau est stratégique, ou en fonction des opportunités people (un excellent candidat cherchant à manager / monter l’équipe; ou un move interne). L’avantage est que le/la manager créera une équipe à son image.
J’ai également connu l’inverse, c’est-à-dire de recruter d’abord les IC (individual contributors) puis le manager une fois que l’équipe est montée à 30%-50%. Dans ce cas-là, l’équipe est managée à distance pendant quelques mois – et même avant le Covid, ça fonctionnait plutôt bien. L’avantage ici est que l’équipe aura son mot à dire sur son / sa futur(e) manager !
Comment recruter dans un pays où personne ne nous connaît ?
D’abord, c’est pas tout à fait vrai que “personne ne nous connaît” puisque nous avons déjà quelques clients, des concurrents présents sur place et des connaissances dans notre réseau qui nous connaissent. J’ai passé BEAUCOUP de temps sur Linkedin à approcher les sales de mon réseau et au-delà; et bien sûr, la prime de cooptation est incontournable.
Ensuite, pitcher un Sales local à Berlin ou à Dubai pour le convaincre de vous rejoindre est un excellent exercice pour valider les idées parfois préconçues que vous pouvez avoir sur votre Market fit. Donc ce n’est vraiment pas du temps perdu.
Soyez naturel, très transparent (early stage en local, ça peut faire peur, ou au contraire, être très attirant pour certains profils) et, bien sûr, compétitif en connaissant bien votre marché local.
En dernier recours, les agences et chasseurs de tête peuvent vraiment vous aider à accélérer si le temps manque.
Remarque importante: quand on recrute à l’international, il faut VRAIMENT mettre ses biais de recrutement au placard et fermer à triple tour. De la diversité de l’équipe dépendra le succès de l’internationalisation.
Global / Local / Glocal : comment gérer ses efforts marketing et sales ?
Super ! J’ai réussi à attirer des A-Players locaux, dans de super bureaux à deux pas de Covent Garden ou de Theresienwiese, et maintenant ? A quel point doit-on localiser les efforts?
Depuis mon premier jour chez Socialbakers en tant que Head of France & South Europe, en opérant en France, Italie, Espagne, Portugal et Grèce, j’ai dû travailler en 5 langues. Mon siège avait eu la gentillesse de me dégager un budget traduction pour nos brochures en français, mais le résultat était très mauvais ! Sans aller jusqu’à traduire Fan par Ventilateur (true story), j’ai eu des choses assez baroques pour traduire Click Through Rate – CTR. Qui plus est, la fameuse brochure à peine traduite était déjà périmée ! Nous avions sorti plein de nouvelles fonctionnalités entre-temps.
J’ai rapidement décidé que toutes nos présentations et supports devaient être en anglais – rien de pire qu’une présentation en deux langues mélangées. J’ai aussi fait le pari que nos clients avaient un minimum d’Anglais pour comprendre “Engagement rate”. En revanche, j’ai vraiment fait en sorte que tout le funnel commercial (SDR > AE > AM) puisse se faire dans la langue du client, à l’oral et par email. C’était un pari gagnant dans tous les pays, y compris ceux qu’on pense être plus anglophones comme les Pays-bas ou la Suède.
Concernant le Marketing, le recrutement d’équipes marketing locales est intervenu assez tard. Nous avons recruté des Local marketing manager une fois que le business a atteint une masse critique, ou que les opérations devenaient trop complexes pour que tout soit géré par le siège. La loi de Pareto et le principe des 20-80 s’appliquent à plein : il faut trouver les 20% de sweet spots qui généreront 80% des résultats. Par exemple, nous avons testé la traduction de notre newsletter en français pour améliorer nos taux d’ouverture. Au-delà du fait qu’il était vraiment compliqué de définir ce qu’est un client français dans notre database (un stakeholder de L’Oréal HQ est il Français sous prétexte qu’il travaille à Clichy?), les résultats en termes d’amélioration ne valaient pas le coup/coût. Nous avons donc préféré nous concentrer sur l’amélioration du contenu et la fréquence, en anglais pour tous.
Comment créer une culture d’entreprise unifiée malgré la distance?
Très bien, nous avons ouvert nos bureaux, recrutés des rock stars dans chaque pays, signé les premiers deals significatifs en local… Comment créer une seule culture, aspirer à l’unité et éviter d’avoir des archipels d’équipes éloignées les unes des autres ?
Tout d’abord, il faut vraiment embrasser totalement l’idée que la Diversité est une force et que le respect des cultures des uns et des autres n’est pas négociable. C’était l’une des forces de Socialbakers, originaire de République Tchèque et non pas des Etats-Unis, de laisser la liberté à certains particularismes locaux, tout en créant une unité forte d’un pays à l’autre. Et pour créer cette culture unitaire forte, nous avions toute une boîte à outil :
- D’abord, il faut avoir une culture de “remote by design” – encore plus dans un monde post-covid. Full remote ne veut pas dire “chouette, pas de loyer à payer”, mais plutôt, réaffecter ces budgets ailleurs pour garder une cohésion. A ce titre, l’organisation d’un Global Sales Kick-Off est un must. Chaque mois de février, on se retrouve tous ensemble pendant 4 jours, avec un programme chargé d’échanges, de projets, de rencontres… et de fêtes ! Ce n’est pas une option, c’est vraiment un outil essentiel et performant. Je ne compte plus le nombre de fois où nous avons pu “clear the air” pendant cette semaine clé, mais aussi le nombre d’idées géniales qui ont été conçues avec un impact direct sur nos résultats. Et même si les nuits sont courtes, faire la fête entre collègues est absolument crucial pour construire un groupe.
- En dehors du Sales Kick-Off, toute l’année est ponctuée de rendez-vous. A chaque Company All Hands, nous mettions en avant une équipe locale, qui se présentait d’un point de vue business et perso – et c’était passionnant. Une semaine sur deux, nous avions un point Pipe / Business / HR avec les managers locaux; l’autre semaine, sur le même créneau, un point dédié au Produit et à la Stratégie. Ces réunions sont avec une présence obligatoire; si le manager local ne peut pas venir, il/elle est remplacée(e) car on ne peut pas rester trop longtemps sans avoir de connexion avec une équipe locale.
- Au niveau du recrutement, les mouvements internes sont encouragés (j’ai eu un Français de Singapour rentré à Paris, un Brésilien à Londres et beaucoup de mouvements avec Prague). La cooptation, y compris à l’international, reste la meilleure source de candidats. Enfin, les Managers d’autres régions sont systématiquement inclus dans les recrutements hors de leur région. J’ai eu le plaisir de faire passer des entretiens pour São Paulo, Singapour et les US.
- Quand on travaille sur des comptes Enterprise, il ne faut pas avoir peur que des conflits éclatent entre les régions et savoir les anticiper. Au contraire même, il faut que les équipes terrain aient des incentives à “passer la balle” à leurs collègues dans d’autres régions. Un grand constructeur automobile japonais travaillait avec nous en Arabie Saoudite, au Mexique et dans quelques pays d’Europe… mais n’avions pas de relation forte avec leur HQ au Japon. Nous avons su mettre tout le monde dans le même bateau, chez le client et en interne, pour optimiser ce compte et sécuriser un deal global. Pour les Sales, ça doit se traduire par une sécurisation de leurs commissions et un double-counting quand cela s’impose.
- Enfin, à mon niveau de VP EMEA, je bloque une journée par jour dédiée à une équipe – simplement pour prendre un café virtuel avec ses membres (volontairement pas d’agenda). Ca peut prendre du temps de voir un par un CHACUN des 15 membres de l’équipe dans la journée, mais je peux assurer que ce n’est pas du temps perdu !
- Et en termes d’évolution de carrière, Socialbakers a toujours fait particulièrement attention à ce que les postes clés soient relativement bien répartis, y compris dans des “bureaux satellites”. Notre Head of PS est à Singapour, la Lead PreSales à Nashville, Tennessee. J’en suis également un bon exemple, VP EMEA ni à Prague (siège) ni à Londres (classique), mais à Paris. Ces opportunités ont bien sûr un vrai impact sur la rétention des meilleurs talents et la diffusion au global d’une culture d’équipe unifiée. Les “régions” se sentent mieux écoutées et valorisées, le siège est moins en mode “tour d’ivoire” coupée du terrain.
En 2021, Socialbakers ayant atteint les 50M d’ARR, nous avons été achetés par le fond américain Audax Group. Ces derniers ont décidé de fusionner Socialbakers avec 3 autres sociétés aux offres complémentaires dans la Gestion de la relation client et le Live Shopping afin de créer Emplifi.io .
Pour ma part, après 6 années d’une expérience professionnelle folle, il était temps de tourner la page et j’ai rejoint Lengow en tant que SVP Sales & Partnerships en 2022.
En conclusion
À partir d’une certaine masse critique, ouvrir un bureau local devient incontournable, et cela peut même être réclamé par vos clients stratégiques. De plus, cela peut être un vrai accélérateur de business et un différenciateur important. Je pense que si vous êtes arrivé à lire jusque-là, vous étiez déjà convaincu 🙂
Une chose importante selon moi, même si l’ouverture de bureau à l’étranger ne s’improvise pas, et toute la dure diligence doit être faite (Finance, Legal, HR…), monter une équipe n’est pas qu’une question de P&L ! Il faut aussi savoir prendre des risques (mesurés) et voir à plus long terme (2 ou 3 ans).
4 key take-aways:
- Attention à recruter les bons profils, au bon tempo (ni trop vite, ni trop lentement, et jamais avec le couteau sous la gorge) et recruter les métiers dans le bon ordre (SDR avant AE par exemple, pas forcément le manager en premier…).
- Bien connaitre les spécificités du pays avant de se lancer. En Allemagne par exemple, chaque ville a ses caractéristiques de business : Berlin est très Start-up/Scale-up / e-Commerce avec des Sales mid-markets; Munich est bien plus Enterprise, avec les salaires qui vont avec (x2 vs Berlin parfois) et Hambourg concentre plus des profils Media / Ads et Marketing.
- Les efforts de localisation sont nécessaires, mais il faut bien faire attention à ne pas se noyer. Réfléchir systématiquement en 20/80, surtout concernant les efforts marketing locaux.
- Last but not least, la CULTURE. C’est pour moi LE facteur de succès essentiel. Vos équipes “satellites” sont par définition loin des yeux, ils ne doivent jamais être loin du coeur !!