Que signifie être un bon, voire un grand manager ? Comment évaluez-vous la performance d’un tel rôle ?
C’est des questions que je me suis souvent posées, car mon premier emploi est celui de manager, pas de CMO/VP REVOPS/COO, ni de membre de l’équipe de direction. J’ai pris le temps de me poser sur mes expériences et voici mes réflexions.
I – Une carrière en soi
“Manager” est une piste différente de celle de “Contributeur/opérationnel”, pas meilleure… pas pire, juste différente.
Tout le monde ne peut pas ou ne devrait pas être un manager, ce n’est pas une étape nécessaire dans votre carrière. Surtout parce qu’il nécessite trois ingrédients uniques.
1. L’envie
Car trop fréquemment, les gens finissent par devenir des managers, puisque c’est ce qui est attendu d’eux. J’aime dire que vous devez avoir connu un bon manager pour avoir envie d’en devenir un ;
2. L’empathie
Vous devez vous soucier et aimer travailler avec des êtres humains, partager leurs peines, leurs succès et leurs échecs. Même ceux qui ne sont pas liés à leur travail. Pas besoin de se comporter comme une figure paternelle/maternelle, juste être là et écouter. Une oreille attentive vaut de l’or ;
3. Le leadership
Votre équipe vous regardera pour donner un sens à tout ce qui se passe dans l’organisation. Il s’agit de vision, d’autorité, de légitimité et de nombreuses autres caractéristiques qui nécessitent beaucoup de confiance et d’assertivité (ou un peu de foi).
C’est le cas typique du développeur qui est propulsé lead ou manager car l’équipe grandit alors que tout ce qu’il demande c’est de continuer à coder ! On obtient donc l’effet contraire, le collaborateur se sent pénalisé et est mal équipé pour accomplir sa mission. Le résultat est catastrophique !
Vous devez avoir connu un bon manager pour avoir envie d’en devenir un.
II – Un style, de nombreuses nuances
Nous disons généralement qu’un manager doit s’adapter à son équipe. Bien sûr, c’est une nécessité, car les attentes et les besoins varient largement au sein d’une équipe. Certains ont besoin de constantes réassurances et de tapes sur l’épaule, d’autres préfèrent une grande autonomie, et ainsi de suite. Il faut d’ailleurs bien établir les règles du jeu avec chaque membre de son équipe dès la prise de poste.
Mais même si vous apportez des ajustements en fonction de vos membres d’équipe, vous devez définir votre style pour pouvoir répondre simplement aux questions suivantes :
- Combien d’autonomie voulez-vous donner ?
- Combien êtes-vous prêt à déléguer la prise de décision ?
- Fixez-vous des objectifs et des objectifs ambitieux pour surperformer ou réaliste ?
- La réalisation des objectifs est-elle une exigence forte, ou valorisez-vous d’abord l’effort ?
- Vous concentrez-vous sur le “comment” ou le “pourquoi” ?
- Votre confiance est-elle acquise ou donnée ?
- Quelle est la proximité que vous êtes prêt à construire avec votre équipe ?
Bien sûr, vous pouvez trouver en ligne des archétypes de style de management, mais je préfère opter pour quelque chose de plus pratique… et idéalement partagé avec les personnes que vous gérez pour faciliter les relations et gérer les attentes (consultez mon article sur mon “User Manual“).
En pratique (sachant que toute approche est valable) :
- Je donne une forte autonomie sur l’exécution mais je veille à la qualité à des étapes clés : conception (typiquement un brief de campagne) et rendu final (pour amener une vérification supplémentaire).
- Je garde le pouvoir de décision, mais m’appuie sur les recommandations de mes équipes, seul le résultat compte.
- Je fixe des objectifs atteignables et dans la continuité de la performance attendue. Cela me permet de renforcer la croyance dans la data et la valeur des KPIs. Demander trop revient pour moi à nier la réalité des métriques. Leur atteinte est essentielle, les équipes doivent donc pouvoir anticiper les tendances et trouver des solutions alternatives. Cela force à assurer un suivi régulier de la progression.
- Je valorise avant tout le “pourquoi” car si cet élément est bien défini, nous gardons une plus grande agilité sur l’exécution, cela favorise les expérimentations !
- Je donne ma confiance dès le début, celle-ci peut se perdre mais est acquise directement. Cela permet à mes équipes de mieux prendre de la hauteur et d’apporter des solutions plus facilement.
- Je suis très proche de mes équipes que je taquine facilement (c’est dans ma nature), par contre, je veille à garder ma casquette de manager même dans les temps de détente.
Vous devez définir votre style de management et vos règles de fonctionnement.
III – Manager. Tout simplement.
Vous voulez être un manager, vous en avez les capacités, et vous avez défini votre voie. Maintenant, il est temps de commencer à répondre aux attentes de vos équipes.
Je dis souvent que, en tant que manager, mon rôle est avant tout de faire grandir les collaborateurs (de mon équipe, mais aussi des autres). Leur apporter mon expertise, mes expériences, mais aussi ma vision (en tant que spécialiste, membre de l’équipe et employé). Voici un aperçu de tout ce que l’on peut attendre de vous (de votre équipe, mais aussi de la direction et des autres départements) :
1. Communication efficace
Vous veillerez à ce que la communication circule correctement au sein de l’équipe et dans toute l’entreprise. La communication doit être organisée et fréquente, qu’il s’agisse d’annonces (communication proactive) ou de réactions à une situation. Bien sûr, vous n’êtes qu’une des nombreuses voix de votre équipe, mais la vôtre peut être plus importante et les gens s’attendent à ce que vous les représentiez. Je vous recommande toutefois de ne pas oublier que les membres de votre équipe doivent aussi avoir des opportunités de briller.
⚙️ En pratique
Je prends souvent la parole pour reformuler, apporter des éclairages. J’organise des sessions de démo/post mortem du travail de mes équipes pour l’ensemble de l’entreprise. J’invite des membres de l’équipe à prendre la parole en CODIR ou en réunion “All hands” pour présenter un sujet ou un métier.
2. Définir des objectifs et des attentes clairs
Vous communiquerez clairement ce que l’on attend de votre équipe et vous vous assurerez que tout le monde travaille dans le même sens. Je fixe généralement une première couche d’objectifs macro (similaire à la partie “O” des OKR) et laisse l’équipe les diviser en leurs propres objectifs (les “Résultats Clés”). En outre, je veille à ce que les sujets qui ne sont pas liés aux objectifs soient dépriorisés.
⚙️ En pratique
Je reviens chaque semaine sur les KPIs et fixe les objectifs de chacun pour caque trimestre avec 3 volets: performance (les chiffres), delivery (les projets), growth (l’évolution du collaborateur). Les 3 sont essentiels et nous forcent collectivement à ne pas délaisser l’un des piliers.
3. Priorisation des tâches et délégation des responsabilités
Vous aiderez votre équipe à prioriser les projets et les tâches. Cela est essentiel, car le manager est la personne qui a une vision globale et la capacité de planifier à l’avance. Vous veillerez également à ce que les responsabilités soient claires entre chaque membre. Cela est crucial pour pouvoir déléguer des tâches et des sujets à votre équipe tout au long du processus tout en facilitant la collaboration.
⚙️ En pratique
J’organise des sessions de sprint planning ou des weekly permettant de bien comprendre les enjeux et prios de chacun, en rappelant toujours la “big picture”. Le but est de bien synchroniser l’effort mais surtout d’identifier les sujets non essentiels et la charge de chacun. L’équipe développe le réflexe de se mobiliser sur une thématique et s’entraide. De mon côté, j’assure que chaque tâche rajoutée implique la dépriorisation d’une autre tâche. On reste à périmètre iso à tout prix !
4. Fournir un soutien et des ressources
Vous fournirez les ressources et le soutien nécessaires à votre équipe pour les aider à accomplir leurs tâches de manière efficace et efficiente. Vous n’êtes pas l’expert de tous les sujets, loin de là, mais vous pouvez aider avec la méthodologie et le processus de réflexion et d’exécution. J’utilise souvent des questions pour les assister pour trouver un moyen de résoudre leurs problèmes.
⚙️ En pratique
Je challenge systématiquement les équipes sur les “basics”, avec la méthode des 5 pourquoi ? (ce qui ont des enfants connaissent !) pour pouvoir remonter sur l’essence et après on redescend sur l’exécution et on se pose les questions pour anticiper les obstacles/objections. Cette méthode assure de toujours pouvoir pivoter tout en servant l’objectif de départ.
5. Fournir des feedbacks
Vous ferez des commentaires constructifs à vos équipes de manière opportune, à la fois pour leur permettre de s’améliorer et pour reconnaître leurs efforts et leurs réalisations. Assurez-vous toujours que la fréquence de vos commentaires soit adaptée aux attentes de votre équipe. Je rappelle toujours aux gens que les commentaires fonctionnent dans les deux sens. Ils doivent se sentir aussi à l’aise pour recevoir des commentaires que pour en donner (même à leur manager).
⚙️ En pratique
Je forme mes équipes sur la méthode FEEDA afin d’apprendre à donner/recevoir du feedback. Je leur explique aussi ce qu’est la Radical Candor, on doit être courageux et direct dans nos échanges pour avoir des vraies relations de confiance. Très vite les équipes adoptent ce mode de fonctionnement permettant d’avancer rapidement et d’écarter les ego de la réussite collective.
6. Bâtir et maintenir des relations
Vous allez créer des relations solides avec les membres de votre équipe et d’autres parties prenantes. Cela vous permettra d’obtenir des retours plus honnêtes, un meilleur soutien et simplifiera considérablement votre quotidien. Le manager est un peu comme un ambassadeur qui construit et entretient des ponts entre les différents départements. Je veille toujours à consacrer autant de temps aux personnes à l’extérieur qu’à l’intérieur de mon équipe.
⚙️ En pratique
Quand j’arrive, je passe d’abord mon temps à comprendre les autres équipes et à sympathiser avec les managers. Je leur partage nos roadmaps et inclus leurs besoins dedans de manière transparente. Je rappelle régulièrement à mes équipes les enjeux de leurs collègues et leur mode de fonctionnement afin qu’ils puissent changer de perspective. L’idée est de briser les silos que chaque manager va mécaniquement construire durant sa prise de rôle et la phase de structuration de l’équipe (c’est une nécessité et un réflexe naturel quand le management se met en place).
7. Gérer les conflits
Vous serez en mesure de résoudre efficacement les conflits au sein de l’équipe et de maintenir un environnement de travail positif et productif. Comme tout entraîneur, vous êtes censé vous assurer que l’équipe fonctionne bien ensemble, clarifier le rôle de chacun, assurer l’équité dans le traitement tout en aidant l’équipe à tirer parti des compétences de chacun.
⚙️ En pratique
Je fais un exercice où chacun dit quelles sont les forces de chaque membre (j’appelle cela “Who you gonna call?”). Je favorise aussi la rotation des responsabilités de leadership sur les projets, sans me limiter aux compétences principales des personnes. Typiquement, chaque campagne marketing est portée par une personne, cela aide à la montée en compétences, permet de répartir la charge de travail et valorise chacun. Enfin, je définis un ensemble d’objectifs / métriques communs pour limiter les tensions. Quand on vise un même but, c’est plus dur de se diviser !
8. Élaborer, communiquer et consolider la vision
Vous fournirez des orientations à votre équipe en étant un phare dans la tempête. Vous avez la responsabilité de les aider à comprendre la stratégie et la vision de l’entreprise. Généralement, je veille à partager avec eux ma vision, la mission de l’équipe et ce que je comprends de chaque décision prise par le Comité exécutif ou le Conseil d’administration. Gardez à l’esprit que la compréhension des enjeux “business” et des dynamiques au sein d’une organisation ne sont pas les mêmes pour tout le monde.
⚙️ En pratique
Après chaque annonce ou CODIR, je débriefe mes équipes en partageant ce que je sais, ce que j’ai compris et ce que je suppose. Cela permet d’anticiper les évolutions futures. Je vais aussi former mes équipes à des sujets “corporate” comme “la levée de fonds”, “le fonctionnement du board”, “les dashboards business”, etc.
9. Prendre des décisions
Vous serez en mesure de prendre des décisions bien informées et efficaces, en tenant compte des besoins et des objectifs de l’équipe et de l’organisation. Je dis souvent à mon équipe que je suis là pour les aider à prendre une décision, mais ils doivent me fournir des options, du contexte et leurs propres recommandations.
⚙️ En pratique
J’impose que chaque demande de mon équipe vienne avec 2 options et une recommandation. J’ai besoin de contexte pour décider, sinon la fameuse “charge mentale” devient intenable. J’argumente aussi mes décisions pour montrer les impacts et accepter l’imperfection du choix. En startup, on doit savoir manipuler le Minimum Viable Product et un côté “artisanal”, mais scalable.
10. Mener par l’exemple
Vous montrerez votre leadership en donnant l’exemple à votre équipe. Il est important, car vous aurez un impact direct sur la façon dont votre équipe percevra le management et les manager. Je dis fréquemment qu’en tant que manager, vous êtes le produit de vos propres expériences et vous devez choisir les ingrédients qui feront la recette de votre rôle.
⚙️ En pratique
Je m’impose la même rigueur qu’aux équipes: argumenter mes choix, documenter mon travail, planifier mes actions, débriefer mes meetings, être ponctuel, rester d’humeur constante (sans nier les jours avec un moral plus faible) et optimiste, etc. C’est une véritable hygiène de travail.
Mon rôle est avant tout de faire grandir les gens.
IV – Feedback et KPIs
Alors, comment mesurer que vous respectez cette promesse ? Quels devraient être vos KPI ?
Soyons honnêtes, ce n’est pas une tâche facile. Pour évaluer mes performances en tant que votre manager, je m’assure généralement que :
- Mes entretiens individuels bimensuels avec mes équipes dédiées à la carrière et au développement (+ autres sujets RH) comprennent toujours une question pour collecter du feedback.
- Leur évaluation annuelle comprend une section pour évaluer mon rôle de manager et nous discutons de mon implication dans les autres rubriques de l’entretien (quel a été mon rôle dans les réussites et les échecs, par exemple).
- J’envoie régulièrement des enquêtes (merci typeform) pour avoir une idée de la réaction de mon équipe à ce que je livre : sessions de formation, team building, kick-offs…
- J’évalue la croissance de l’équipe à travers une grille de compétences qui est utilisée pour définir des plans individuels que nous suivons sur l’année.
- En fin de compte, d’autres signaux m’aident à me sentir bien dans mes performances : d’anciens membres de l’équipe me contactent encore après quelques années pour discuter d’une question de carrière ou de travail, des membres d’autres équipes viennent me chercher pour des conseils ou demandent à participer à mes formations/réunions et enfin, d’autres managers partagent avec moi leurs défis. J’ai aussi la chance de voir les carrières que mes membres d’équipe poursuivent, les promotions et les rôles qu’ils peuvent obtenir.
V – Mes 6 conseils
3 étant le chiffre magique, j’en abuse un peu dans cette liste de conseils. Et oui, j’aurais pu commencer par là, mais je ne suis pas un influenceur B2B et j’ai estimé que cet article valait la peine d’être lu dans son intégralité. 🙂
1. Soyez ouvert
Expliquez qui vous êtes, comment vous travaillez. Provoquer le mimétisme ! Comportez vous de la manière que vous souhaiteriez voir par vos équipes. Cela leur permet de se sentir à l’aise de partager avec vous. Attention, il faut trouver le bon équilibre (la cinquième anecdote sur ma fille peut lasser les équipes) !
2. Ne soyez pas un frein
Travaillez pour votre équipe. Assurez-vous que vous n’êtes pas un obstacle lorsqu’il s’agit de décisions ou de retours. Faites de votre équipe une priorité pour que le travail avance. Cela réduira également le fardeau que vous pourriez ressentir sur vos épaules.
3. Soyez exigeant
Il est facile de devenir confortable et d’oublier qu’il faut pousser son équipe à exceller dans ce qu’elle fait pour l’aider à grandir. Fixer des objectifs difficiles, repousser les limites et donner des retours précis aidera à leur épanouissement. La plupart d’entre eux s’attendent à cela de votre part.
4. Défendez la transparence
La confiance est au centre d’une équipe performante, et vous devez vous assurer que l’honnêteté et la transparence sont partout. Bien sûr, certaines informations doivent rester confidentielles, mais si vous expliquez les décisions (les vôtres et celles des autres) et le processus derrière elles, vous soutiendrez un environnement transparent.
5. L’autonomie est dynamique
Selon les projets, les personnes et le contexte, votre niveau de délégation va changer. Vous devez l’embrasser et le rendre explicite à votre équipe pour éviter qu’elle ne soit frustrée lorsque vous intervenez ou exercez un contrôle excessif.
6. Ne soyez pas seul
Organisez des discussions entre managers. Dans votre organisation, il y a plusieurs managers qui pourraient avoir des difficultés avec les mêmes sujets et les mêmes problèmes : la confiance, l’autonomisation, la délégation, la gestion des faibles performances, etc. Avoir un espace sûr pour discuter de ces sujets est essentiel pour être un manager performant. L’avantage : cela crée une culture de management au sein de l’entreprise qui est partagée entre les managers, ce qui signifie que les gens peuvent s’attendre au même comportement de n’importe quel manager.
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Après de nombreux onboardings, des expériences de managers et de managés, je pense que le métier de Manager est une vocation, voire un sacerdoce. C’est un rôle exigeant, maîtrisé par peu, décrié par beaucoup car mal compris. Peu de personnes sont formées et on espère que l’apprentissage se fera par l’échec créant ainsi des générations de managers mal équipés et frustrés. Alors, prenez le temps de définir qui vous êtes en tant que manager (et non pas qui vous souhaitez être), comment vous vouliez exercer cette mission et partagez cela avec vos équipes. N’oubliez pas que le manager a pour but premier de faire grandir ces personnes pour leur permettre de se développer et d’atteindre les objectifs. C’est un chef d’orchestre qui doit aussi jouer un peu de tous les instruments, donner des cours de solfège, écrire le programme et placer les personnes dans la salle.
C’est exigeant… mais c’est donc forcément passionnant.